De : OUKACHA Soraya
À : STORM Jérémy
Objet : Discours d'adieu
Envoyé : jeudi 26 novembre 09:55
Un délicieux rêve m'a extirpé de mon sommeil ce matin.
(Rien d'érotique... quoique la finalité frôlait l'orgasme.)
Ça se passait dans les locaux de la Collectivité et il ne s'agissait pas d'un cauchemar, je t'assure. Une gigantesque salle spécialement aménagée et décorée dans laquelle je célébrais mon départ de la Collectivité et de ce service de mabouls.
Tout le monde était là, des grands manitous tout puissants aux gagnepetits en bas de l'échelle, et bien sûr, Raffie, toi, Miss Gudu et Animaux Morts. J'avais ramené des gâteaux marocains, des jus de fruits, des boissons pétillantes et des chips.
Soudain on me demande de faire un discours. J'accepte. J'improvise.
« Bien chers collègues,
En ce jour béni, je vous quitte. Oui, vous m'avez bien entendue : je vous quitte. Je le répète une fois encore tant ces mots dans ma bouche roulent avec délice : je-vous-quit-te. Sans l'ombre d'un remords. Sans une goutte de peine. Un seul mot me frappe l'esprit : enfin ! Enfin je pars. Enfin je m'envole loin d'ici. Enfin ! Enfin ! En-fin ! J'ai tant attendu. Trop attendu ! Trop longtemps. Cette utopie tant fantasmée prend enfin consistance ; je la touche enfin du doigt. Et la victoire a le goût de la mousse au chocolat. L'odeur vous envoûte d'une manière euphorisante ; la texture est aérienne, vaporeuse et sa saveur douce-amère est tenace.
Je ne m'en suis jamais caché : je n'ai jamais aimé ce travail. Trop rébarbatif. Trop insignifiant. Trop mortifère. Je me suis fourvoyée dans l'engrenage administratif. Plus jamais on ne m'y reprendra ! J'ai détesté venir ici chaque jour que Dieu a fait. J'ai détesté me traîner chaque jour dans ce long couloir glacial, sans âme. J'ai détesté m'asseoir chaque jour dans un bureau à l'hygiène douteuse en face de collègues mornes ou zombifiés.
Je n'ai tenu le coup que grâce à quelques-uns d'entres vous. Et je les compte sur les doigts d'une seule main. Ces rares amis – qui se reconnaîtront, je les remercie du plus profond de mon cœur. Ensemble, nous avons résisté face à notre ennemi juré : la Lourdeur Administrative. Solidaires, nous avons réussi à nous liguer contre le Mal Administratif Quotidien et à l'exorciser à grand renfort de sarcasmes et d'humour noir.
J'ai haï les coups bas et autres malveillances de certaines. Travailler avec des bonnes femmes, il n'y a vraiment rien de pire. Et c'est une femme qui vous l'affirme ! Toujours prêtes à dégainer leur méchanceté. Toujours prêtes à vous tirer dans les pattes à la moindre occasion. Toujours prêtes à vous planter un couteau dans le dos. Toujours prêtes à colporter des rumeurs. Prêtes à toutes les bassesses pour s'assurer les faveurs de la hiérarchie.
J'ai haï l'hypocrisie ambiante. J'ai haï les discussions du vide qui vous exaltaient. J'ai haï ce jus de chaussettes que vous osez appeler café. J'ai haï chacune des réunions. J'ai haï l'inorganisation du système. J'ai haï cet ordinateur pourri qui met dix minutes à réagir à chaque clic. J'ai haï les cuvettes des WC. Souillées, cradingues, contaminées et contaminantes. Vous ne vous comportez pas ainsi chez vous, alors pourquoi ici ? J'ai haï la couleur vert-pomme pourrie sur chacune des portes des bureaux. J'ai haï ces longs couloirs peints d'un marron diarrhéique. Ça donne la nausée quand on arrive le matin. J'ai haï certaines d'entre vous avec une animosité inégalée. J'ai même été jusqu'à haïr les petits vieux pour lesquels on travaille... La plupart de toute façon sont décédés alors à quoi bon leur verser une allocation ! J'ai haï chaque centimètre cube de ce bâtiment. Oui chaque centimètre cube, car j'ai haï jusqu'à l'air que je respirais ici.
Dès lors que je quitterais ce lieu maudit, je pense que je serais frappée par une amnésie totale et irréversible. J'oublierais tout ce que j'ai vécu ici depuis des années d'un coup de baguette magique et je pourrais commencer à vivre. A revivre plus exactement, c'est-à-dire reprendre une existence normale, simple et banale sans le poids contant de la Collectivité qui m'oppresse. Nouvelle vie, me voilà !
Cependant, j'admets avoir trouvé un point positif et formateur grâce à ces années passées ici. Je sais désormais que je suis une personne d'une force incroyable car ma patience et ma santé ont été mises à rude épreuve. Je sais également qu'à présent, je peux tout affronter dans ma vie. A partir de maintenant, je n'ai plus peur. Désormais, ma vie va resplendir d'une nouvelle aura.
Je plie bagage, je vide les lieux, je mets les voiles, je débarrasse le plancher, je lève l'ancre. Bref je vous quitte adieu, comme dans la chanson d'Hélène Ségara, avec un point final. Non, je ne chanterais pas. Juste envie de crier : salut, bande de cloportes, bande de larves léthargiques et autres débris inutiles ! Vous ne me manquerez point. »
PS : J'avoue, j'ai un peu amélioré mon souvenir... Beaucoup même ! ;o)
Je jubile à la relecture de ce discours.
Je crois que je vais l'imprimer et l'encadrer. Ça pourra toujours me servir.
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CHRONIQUES DE BUREAU
HumorEn parallèle de la "SAGA DES SIRÈNES" ancrée dans le monde antique et la mythologie, je t'invite à découvrir une fiction très différente qui s'inscrit dans notre société actuelle. Jérémy (quelle coïncidence que le prénom du héros !), agent administr...