02. MON PREMIER JOUR ou L'ALARME EN FURIE

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Pour mon premier jour, en ce mardi 1er septembre, je me levai tôt. Très tôt. A 5h00 ! Le stress de l'inconnu me maintenait dans une forme olympique incroyable alors que d'habitude je traîne les pieds pour m'extirper du dessous de la couette*.

* J'aurai l'occasion de vous détailler mes réveils laborieux et mes matinées comateuses...

Douché, shampouiné, haleine fraîche et rasé de près, je pulvérisai un parfum épicé sur mon torse. Comme la plupart de mes congénères, je souhaitais faire bonne première impression. J'enfilai un jean de marque populaire (coupe droite, taille 42, confort regular, effet stone bleached, cinq poches surpiquées de fils blancs dont trois zippées, et petite excentricité : un trou au dessus du genou gauche dissimulé sous d'autres fils blancs), une chemise no name (100% coton, taille M, carreaux bleu et blanc, de fines lignes rouges verticales, manches longues et boutons ronds translucides) et des baskets de ville de marque (pointure 44, nubuck noir, intérieur cuir bleu, lacets indigos, six œillets, semelles noires caoutchoutées). Bref, un effet semi-formel mais décontracté. Pas de costume. Je ne suis qu'un modeste rédacteur territorial stagiaire (c'est-à-dire non titulaire) dépourvu de prestigieuses fonctions au service d'un Etat décentralisé.

A 7h55 pétantes, je me présentai devant la Tour de l'Enfer – gratte-ciel en modèle réduit d'une trentaine d'étages construit dans les années soixante. Je passai devant l'agent de sécurité – non sans lui avoir présenté ma carte d'identité – et sous le portique d'aéroport sans biper. Ouf ! Je grimpai trois marches et rejoignis les ascenseurs. Les portes s'ouvrirent et j'appuyai sur le bouton avec le numéro 13. Heureusement que je ne suis pas superstitieux !

La cabine me déposa en face des cabinets d'aisance. Sur ma gauche, se dressait une austère porte verte* avec le logo de la Collectivité.

*Le vert porte malheur au théâtre. Et dans la vraie vie ?

J'extirpai de la poche fessière du jeans le mail rédigé par la secrétaire du service pour connaître le code d'entrée. Je le tapai méthodiquement. Je tirai la porte et pénétrai dans un antre sombre à huit heures pile*. A peine eussé-je le temps de chercher l'interrupteur qu'une sirène stridente retentit.

*Ce sera bien l'une des rares fois où j'aurais été ponctuel.

Comment réagir ?

Déjà que j'étais anxieux, la panique se décupla et m'étreignit les entrailles. Mon cœur battait la chamade et une goutte de sueur dévala le long de mon front. Dans un élan de couardise, je refermai la porte et me réfugiai dans le couloir.

Quelqu'un allait très probablement débarquer illico presto pour éteindre cette maudite sonnerie.

Un agent de maintenance ? Ou un(e) technicien(ne) de surface ? (plus communément appelée homme/femme de ménage.) Ou un(e) des futur(e)s collègues ? Ou peut-être un(e) employé(e) de l'entreprise voisine ? (Bon sang, à quelle heure déboulent-ils ?) Ou sûrement l'agent de sécurité situé treize étages plus bas ? (Sa console devait clignoter à la façon des séries policières américaines, pour signaler un intrus dans cette zone du bâtiment) Voire la police municipale ? (L'alarme était-elle seulement reliée au commissariat du coin ?)

Dix minutes s'écoulèrent durant lesquelles j'en profitai pour évacuer mon stress dans l'urinoir.

Puis un quart d'heure.

J'espérais encore et toujours que quelqu'un surgirait.

Vingt minutes plus tard, les questions se bousculaient : Pourquoi personne ne monte vérifier ? Je ne suis pas le seul à bosser dans cette immense bâtisse pardi ! Dois-je descendre prévenir l'agent de sécurité à l'entrée ? Pourquoi ne m'a-t-on pas signalé la présence de cette putain d'alarme ?

Vingt-cinq minutes après, je prenais mon mal en patience alors que le vacarme inondait l'étage.

Au bout d'une demi-heure, ma tête bourdonnait et mes oreilles saignaient. Je continuais à scruter la moquette grise élimée par les piétinements.

A 8h45, les portes de l'ascenseur libérèrent une jeune brunette.

Elle commença par grimacer* avant de se diriger vers la porte du service d'un pas décidé. Ses doigts pianotèrent le code de la porte qu'elle ouvrit en poussant un soupir. Elle pivota sur sa droite, se courba et le tintamarre stoppa.

J'ose espérer que le vacarme de l'alarme l'agaçait plus que la vue de mon physique.

Je l'interpellai : « Bonjour... Je suis Jérémy... Je rejoins l'équipe aujourd'hui. Je suis désolé pour l'alarme, on ne m'avait pas prévenu. »

Un charmant sourire éclaira son visage en proie à la fâcherie quelques minutes auparavant. Elle répondait au prénom de Jessica* et il s'agissait de la secrétaire du B.C.D., le Bureau de la Culture Décadente. Elle me souhaita la bienvenue et me certifia qu'en aucun cas elle n'avait pu omettre ce détail dans le mail qu'elle m'avait envoyé. Je vérifiai à nouveau le bout de papier que j'avais imprimé : aucune présence d'une alarme n'y avait été mentionnée.

*Prière de ne pas se fier au stéréotype que laisse présager ce type de prénom américanisé, vous auriez tout faux !

Jessica prit les choses en main et m'emmena tout au bout d'un long couloir aux murs marron-chiasse :

« Voilà ton bureau. Tu peux y déposer tes affaires. Ce n'est qu'à titre provisoire dans l'attente de l'arrivée de l'autre recrue, Jean-Eudes... je n'sais plus quoi. Vous aurez un bureau rien que pour vous deux. Les deux nouveaux ensemble... »

Elle fit demi-tour et me laissa planté sur place tel un caneton égaré.

J'allumai une antiquité d'ordinateur qui se mit à siffler et qui réclamait un code d'accès que je ne connaissais pas non plus... Je pris ma première grande décision du jour : attendre.

La chef de service n'arriverait que bien plus tard...

... Mais ça, c'est une autre histoire.

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