27. UN COMING-OUT JUBILATOIRE

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Une première porte avait été enfoncée via Sandrine qui avait officialisé sa relation avec sa copine depuis belle lurette. Comme les questions sur ma vie privée devenaient de plus en plus pressantes au bout d'un trimestre, je me mis naturellement à parler de mon célibat et de mon attirance pour les mecs.

Aucune stupeur : toutes les collègues l'avaient plus ou moins pressenti (ou Sandrine avait cafté).

Aucune brimade : moult artistes gays transitent dans nos locaux pour mendier une subvention.

Aucun évanouissement, aucun cri de terreur, aucune lapidation ni aucune fatwa de mort. Il est vrai que je suis immergé dans le milieu de l'Art et de la Culture*, milieu reconnu pour sa prolifération de gays qui s'y reproduisent en toute impunité. Ça facilite considérablement la donne. En outre, il est bien connu que l'Homo-Gay Erectus est à l'essence même des Arts et de la Mode... (Comment ça j'exagère ?)

* Je me permets de vous rappeler que la version administrative du milieu de l'Art et de la Culture est nettement moins fun que le titre.

La nouvelle passa donc comme une lettre à la Poste ou devrais-je plutôt dire, la nouvelle passa comme une savonnette qui glisse dans les vestiaires. (Jérémy un peu de retenue s'il te plaît.)

En somme, une bien belle indifférence – que certains homos m'envieront – de la part de mes collègues avec cette pointe d'assouvissement d'avoir comblé la part d'ombre à mon sujet.

A la D.S.G.S.*, ce service de maquerelles qui se sentent belles en sacs poubelle**, je m'étais bien gardé de détailler ma vie privée. De ce fait, je restais une énigme pour ces femelles qui avaient acquis des certitudes à mon sujet et de rares preuves issues de purs fantasmes.

* D.S.G.S. = Direction de la Solidarité aux Gâteux et Séniles ancien service dans lequel je sévissais, rappel pour mémoire pour celles et ceux qui ne suivent pas. 

** Notez l'assonance.

L'une d'entre elle, suivie de près par une dizaine d'autres vipères curieuses, vénéneuses et voyeuses, tenta, à maintes reprises et avec bravoure, de me poser LA question : « Jérémy, t'en es ou pas ? » J'éludais le sujet d'un air faussement naïf ou avec humour si bien que je demeurais au centre de nombre de conversations. Elles persiflaient et persistaient à se focaliser sur MA vie personnelle et sexuelle avec des questions éculées* : avec qui couche-t-il ? préfère-t-il la moule ou la banane ? plutôt à voile qu'à vapeur ?

* Pas de "n" entre le "é" et le "c", je vous prie.

En tout cas, aucune confirmation n'ait jamais sorti de ma bouche ce qui leur laissait toujours un doute amer.

Lorsque l'information circula au sein du B.C.D. et qu'elle parvint jusqu'aux oreilles du Jean-Eudes, situé dans son débarras à l'autre bout du couloir, ce fut presque s'il ne me sauta pas dans les bras pour me rouler une galoche*. Il exultait :

 * L'image suffît à me donner la nausée ; aucune envie de mélanger ma salive à la sienne, de crainte d'être contaminé ad vitam aeternam par sa connerie congénitale.   

« Mââââiiiiis c'êêêt for-mi-dââ-bleuh ! Absolument gêêê-ni-âl ! Têêrriblement sen-sa-tion-nel ! Intense, c'êêst in-ten-seuh. Je suis content, content mais furieusement CON-TENT d'avoir pour collègue un gay. Pâââ-ris êêt son quartier du Mâââ-rêêêis ? Tu connêêêis, for-céêêê-ment. Un gay qui ne s'êêêclate pas dans le Mâââ-rêêêis – ou ne se fait pas êêêclater dans le Mâââ-rêêêis, c'est comme... c'êêêt comme un Bloody Mary sans vodka ! Tu t'y rends souvent ? Combien de fois par mois ? Dans quels supers bars branchêêês tu te fais dêêfoncer, pardon tu t'enfonces ? Tu prends du poppers ? Tu connais de bonnes adresses de restaurants branchêêês ? Tu peux m'en conseillêêr... »

Sidéré par son engouement, je demeurais bouche bée. Il poursuivait avec outrance :

« Les gays, vous êêtes les avant-gardistes de la Mode, de la Haute-Couture, du Prêt-à-portêêêr. Regarde tous les grands couturiêêêrs : Jean-Paul Gaultier, Yves Saint-Laurent, John Galliano, Dolce & Gabana, ils sont tous gays. Gays, gays, gays et re-gays. Et tant d'autres encore qui n'auraient jamêêêis pu exister sans ces grands noms. (Si en plus, il corrobore mes propos.) Leurs créativitêêês, leurs défilêêês, leurs idêêês révolutionêêeires ont marqué des générations et des génêêêrations. Ils sont désormêêêis inscrits au panthéon de l'histoire avec un grand "H"...

« J'ai plein d'amis gays. Plein, plein, plein. Je les a-dôôô-reuh ! Qu'est-ce qu'on s'amuse avec vous ! Vous savêêz trop bien faire la fêêête, vous, au moins. Le Queen's, le Palace, les bars du Mâââ-rêêêis... L'alcool coule à flot et on ne se fout vrêêiment pas de notre pomme, il ne s'agit pas de vulgaire rince-gorges. J'ai pu testêêêr, grâce à vous, toutes les dernières drogues en vogue. Quel trip ! Il m'a fallu presqu'une semaine pour me remettre debout... Vous êêtes totalement libêêrêêês. Le sexe n'êêst plus un tabou. Vos partouzes sont phêê-no-mêêê-nâââ-les. Vous vous en donnêêêz à bite joie. Qu'est-ce que j'aimerêêi que ma femme soit aussi accroc à la mienne ! »

Je stoppai net ce dithyrambe car je craignis qu'il ne s'engageât vers un terrain plus glissant encore.

Bilan : Jean-Eudes est gay-friendly, voire même gay-envious ou gay-jealous.

Un bon point pour notre future collaboration.

Mauvais point pour l'amalgame : gays = mode + fiesta + alcool + drogue + partouze.

Au moins, il ne confond pas avec pédophilie, autre bon point.

Cependant, je ne corresponds guère au prototype gay parisien qu'il a côtoyé, admiré, adulé et rêvé d'imiter durant de nombreuses années. De plus, grand désappointement à venir pour lui car je ne bois qu'avec modération des boissons alcoolisées, je ne pousse pas de cris suraigus de folle hystérique à l'écoute de Myyyléneeuuhhh, je ne prends pas de poppers et ne m'adonne ni à la luxure ni au libertinage, je ne suis pas le reflet d'une galerie de marque (je m'habille en no-name) et je ne me trimballe pas avec un sac à mains D&G dans le creux du coude. Je suis moi et tant pis pour lui !

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