CHRONIQUES DE BUREAU

45. UN P'TIT TOUR PAR LA D.S.G.S. : COURRIER D'INDU

Avec une exaltation débordante peu commune, Soraya surgit tel l'ouragan Katrina dans mon bureau. « Coucou mon chouchou. Je t'ai amené de la lecture. Tu vas te régaler, crois-moi. » Rares sont les fois où Soraya s'introduit dans le long couloir du B.C.D. : l'absence de Jean-Eudes a encouragé sa venue. Tout de suite, elle se lance dans le vif du sujet : une lecture en trois étapes d'un même courrier mis en mots par la surdouée Animaux Morts.

L'une des tâches de Géraldine Lesieur est d'envoyer des courriers pour réclamer des indus, c'est-à-dire de l'argent distribué de façon trop généreuse par La Collectivité – argent qui, jamais, n'aurait dû être attribué si les contrôles suffisants et nécessaires avaient été réalisés par un personnel formé et compétent*. Ainsi, Animaux Morts indique ce que la personne âgée a perçu durant une certaine période en termes d'allocation et une ligne après, ce qu'elle aurait dû percevoir pendant cette même période. Ensuite, via un super tableau Excel- si cher à Jean-Eudes, la différence entre les deux est calculée de manière instantanée. Il ne reste plus qu'à prévenir la personne âgée – par courrier – du montant qu'elle doit rembourser à La Collectivité. Ce genre de courriers engendre, vous vous en doutez, une gestion téléphonique particulièrement délicate des conflits. Parfois même, certains allocataires viennent nous menacer physiquement...

Soraya pose devant moi la première version du courrier.

Madame,

Vous bénéficiez de l'A.P.G.S., l'Allocation Personnalisée pour Gâteux et Séniles.

Lors de la révision de votre dossier, il est apparu que vous avez perçu un montant global de 6 408,95 pour la période du 1er octobre 2002 au 30 avril 2003. Or vous auriez dû percevoir un montant de 4 992,12 pour cette même période. Il en résulte un indu de 1 416,83.

Formule de politesse... etc.

Sont-ce des yens, des dirhams, des livres sterling, des dollars, des dongs ? Mystère.

Suite à la remarque de Soraya, Animaux Morts a donc refait la lettre et ajouté un paragraphe.

Madame,

Vous bénéficiez de l'A.P.G.S., l'Allocation Personnalisée pour Gâteux et Séniles.

Lors de la révision de votre dossier, il est apparu que vous avez perçu un montant global de 6 408,95 pour la période du 1er octobre 2002 au 30 avril 2003. Or vous auriez dû percevoir un montant de 4 992,12 pour cette même période. Il en résulte un indu de 1 416,83.

L'indu calculé est en euros.

Formule de politesse... etc.

Animaux Morts réalise qu'elle a omis de prendre en compte le temps d'hospitalisation de l'allocataire. S'en suit une troisième version du courrier, un autre paragraphe a encore été ajouté.

Madame,

Vous bénéficiez de l'A.P.G.S., l'Allocation Personnalisée pour Gâteux et Séniles.

Lors de la révision de votre dossier, il est apparu que vous avez perçu un montant global de 6 408,95 pour la période du 1er octobre 2002 au 30 avril 2003. Or vous auriez dû percevoir un montant de 4 992,12 pour cette même période. Il en résulte un indu de 1 416,83.

L'indu calculé est en euros.

Nous avons également été informés de votre hospitalisation pour la période du 16 octobre 2002 au 28 mai 2003... (Je vous passe les détails et autre jargon soporifique. Vous constaterez par ailleurs l'extrême rapidité avec laquelle la Fonction Publique Territoriale traite vos dossiers !)

Il en résulte que vous nous devez plus rien. En effet, vous auriez dû percevoir un montant global de zéro pour la même période.

Le zéro est en euros.

Formule de politesse... etc.

Il va de soi que le courrier n'a pas été signé par la Hiérarchie et Animaux Morts planche encore dessus...

*Je me rends compte de toute l'absurdité et des paradoxes contenus dans cette phrase en la rédigeant.