Sandrine se passionne pour les voyages.
Elle et sa copine – traduction, Sandrine est lesbienne – avec leur sacs à dos ont globe-trotté un peu partout sur la planète : du Pérou au Vietnam, de la Hongrie à la Mauritanie, de l'Irlande à la Chine, de l'Allemagne aux Etats-Unis ainsi que dans des contrées moins prisées comme l'Ouzbékistan ou le Bénin... et tant d'autres encore qui m'échappent.
J'ai également eu la chance de voyager hors des frontières du continent européen.
Riches de nombreuses expériences et anecdotes farfelues, tous deux apprécions échanger sur nos diverses escapades dans l'attente des prochaines vacances vers de lointaines contrées.
Aujourd'hui, alors que nous nous remémorions quelques adresses culinaires de la Big Apple, Jean-Eudes pénétra dans le bureau. Il s'immisça sans gêne dans notre conversation sans y être convié.
Il monopolisa la parole pour nous exposer son point de vue, le meilleur – assurément :
« New Yôôrk, je connêêêis fort bien. New Yôôrk. La ville la plus chic du monde, la ville de tous les possibles, la ville qui ne dort jamêêêis, le rêve américain, Times Squêêêre, Central Park, la Cinquiêêeme Avenue, Manhattan, Brooklyn, le Queens, le...
- Tu ne comptes pas nous réciter toute la fiche Wikipédia ?, intervint Sandrine.
Jean-Eudes ne releva pas.
(J'apprendrais quelques mois plus tard qu'il n'avait pas saisi l'humour car il ignorait jusqu'à l'existence de l'encyclopédie libre Wikipédia.)
« Une ville incontournable pour la mode – après Paris bien êêêvidemment. Jamêêêis rien ne dêêêtrônera Paris. New Yôôrk est seconde au palmarès avec des crêêêateurs comme Marc Jacobs ou Tommy Hilfiger. Ça vous dit quelque chose... ? Vu la façon dont vous vous affublez, j'estime que non... »
Sandrine et moi échangeâmes un regard interrogateur en fronçant les sourcils. Etait-ce sa façon épidermique de réagir face à l'attaque oestrogénique de la misse ou pratiquait-il une forme d'humour qui nous échappait complètement ?
Il continuait, imperturbable :
« ... New Yôôrk et ses boutiques de fringues à chaque coin de rue. C'êêêst aussi de là qu'émergent tous les groupes de musique underground à suivre et... (Il leva l'index et le pointa en direction du plafond)... Et tous les nouveaux courants artistiques qui poseront les fondations de demain sont nés là-bas. Et bla bla bla... »
Bien que sa mission phraséologique partait à vau-l'eau, Jean-Eudes s'évertuait à nous captiver.
Le jeu de regards instauré entre Sandrine et moi se poursuivait : je levai les yeux au plafond signe d'une profonde lassitude. Elle plissait les yeux en retour ce qui signifiait : ne me laisse pas seule avec lui.
Soudain, un cliffhanger nous sortit de notre torpeur. Sandrine insista pour qu'il répète. Nous apprenions avec stupeur et tremblements qu'à New Yôôrk, Monsieur Trusq avait séjourné deux bonnes semaines dans un hôtel... de passe.
Face à notre incrédulité, il changea de sujet :
« J'ai aussi jouêêê les jeunes hommes au pair à San Francisco. San Francisco, c'êêêst la ville la plus cool au monde... Le Golden Gate, ses maisons victoriennes, ses rues en pente et bla bla bla... »
La machine logorrhéique s'emballait.
J'adressai à Sandrine un coup d'œil rageur ; elle pinça les lèvres de désolation.
« ... et réputée pour sa considérable communauté homosexuelle. Vous pourriez vous éclater là-bas parmi vos... semblables. »
Sandrine écarquilla les yeux prête à lui bondir dessus.
Je l'apaisais de quelques inclinaisons appuyées de tête.
Toutefois, son plus beau souvenir reste Saint-Pétersbourg (prononcer Saint-Pêêêtersbûûûrgue) :
« Des blondes, aux gros seins, plus sexy les unes que les autres qui se baladent toujours à moitié à poil dans les quartiers chauds de la ville, et ce malgré le froid qui règne dans cette mégapole... Je m'en serais bien tapêêê une ou deux... mais cela m'étêêêit totalement interdit...
- Interdit ! A cause de ta religion ?, plaisanta Sandrine.
- Je ne pouvêêêis tout simplement pas.
- Tu ne pouvais pas !
- En êêêffêêêt, Sandrine, tu as bien entendu, je ne pouvêêêis pas.
- Aurais-tu... comment dire ?... des petits problèmes... pour... avoir le tricotin ?
- Cette expression doit au moins dater du Moyen-Age ?
- Tu préfères la Sandrine plus crue Jérém' ? Bon Jean-Eudes, est-ce que tu as des problèmes pour dresser le braquemard, pour bander comme un taureau ?
- Absolument pas, s'indigna J-E.T. Nombre de mes conquêtes peuvent témoigner que je suis un serial quéteur.
- Un serial quêteur ! Rien que ça ! Ta prétention n'a d'égale que ton écœurante phallocratie.
- Un quêteur est une personne qui fait la quête, précisé-je. Jean-Eudes voulait dire qu'il est un serial quéqueteur. Sauf qu'une fois qu'on francise le pseudo anglicisme, ça perd de son charme.
Jean-Eudes devenait rouge pivoine au fur et à mesure que nous l'asticotions.
- Donc Jean-Eudes, on ne connait toujours pas pour quelle mystérieuse raison tu n'as pas pu déflorer toutes les femmes de la ville de Saint-Pétersbourg. Combien y-a-t-il d'habitantes d'ailleurs dans cette ville ? A vue de nez, je dirais deux millions. Quel besogneux, pardon quel travailleur de l'extrême !
- Ça suffit Sandrine ou on ne saura jamais rien. Alors serial quéqueteur Jean-Eudes, pourquoi cela t'était-il interdit ?
- Eh bien, je... euh...
- Allez, ne te fais pas prier. Accouche !, aboya Sandrine.
- J'étêêêis... en voyage de noces ! »
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CHRONIQUES DE BUREAU
HumorEn parallèle de la "SAGA DES SIRÈNES" ancrée dans le monde antique et la mythologie, je t'invite à découvrir une fiction très différente qui s'inscrit dans notre société actuelle. Jérémy (quelle coïncidence que le prénom du héros !), agent administr...