31. J'ADÔÔÔRE TON JEAN

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8h15, je débarque au B.C.D. à bout de souffle et en retard.

J-E.T. est assis là, impassible, figé face à son écran, sorte de réverbère éteint.

Je lance un "bon-jour" – qui n'en sera assurément pas un étant donné que je vais passer mes premières heures en sa perverse compagnie. Il relève le nez et commence à me fixer avec insistance.

Je pose ma besace et ma bouteille d'eau minérale ; je retire mon blouson et ma casquette et les accroche au porte-manteau ; j'allume l'ordinateur et je me laisse tomber dans le fauteuil. Il continue à m'observer de ses yeux globuleux. Je soulève un sourcil en guise d'étonnement.

« J'adôôôre... J'adôôôre... Non mêêêis j'adôôôre ! »

Madre de dios, quelle mouche mutante l'a piqué ?

Philippe Katerine, vous n'avez rien à faire dans ce corps.

- Vas-y, lêêve-toi Jéérêêmy et tourne pour moi.

- Quoi ? Qu'est-ce que j'ai ?

Je m'extirpe du fauteuil et observe mes fesses de peur d'avoir un trou dans le jeans ou une tache.

- Te fais pas priêêêr. Vas-y, tourne sur toi-même.

J-E.T. s'anime et bondit hors du siège.

Il s'approche de moi dans un périmètre que je qualifierais de claustrophobique.

- J'adôôôre... Non mêêêis j'adôôôre ta pââire de jeans ! (Il porte son index à sa lèvre inférieure.) Laisse-moi devinêêr : Calvin Klein ? Diesel ? Hugo Boss ? Non, non, ne dis rien, Jean-Eudes sââit : c'êêst un Ralph Lauren, je le reconnêêitrêêis parmi mille... Quoi que ça se rapprocherââit aussi du style de Zadig & Voltaire.

- Non. Ce n'est pas...

- Laisse-moi encore juste une minute. Je vais trouvêêr... Ça ne me demande qu'un peu de concentration... Cette coupe droite, cette fermeture Êêclair sur la poche arrièère droite, c'est du...

- Du no-name.

- Naunêêême ?! Un nouveau crêêêateur que Jean-Eudes ne connââit pas encore ! Tu m'êêpates Jéérêêêmy. Ça sonne comme irlandais... ou écossââis. Où l'as-tu trouvêê ? Combien il coûte ? Il-me-faut-ab-so-lu-ment-l'a-dresse. Dis-moi tout à propos de ce jean Jéérêêêmy.

- J'sais plus... Dans les trente-quarante euros à Celio ou à Jules.

- Arrrgh scandale !, sacrilège !, abomination !, prononce-t-il avec effroi comme si je venais de lui vomir dessus. Jamêêis je ne mettrêêi les pieds là-dedans.

- Et pourquoi donc ?

- Astrid T. ne se compromettrââit jamais dans ce genre de... de... d'oripeaux dépenaillêês.

- Et pourquoi donc ?

Au lieu de répondre à mon interrogation, il dévie :

- Quarante euros pour un jean, je ne pensââis pas que cela pouvââit être possible.

- Tu peux même en avoir moins cher à Auchan ou Carrefour.

- Tu comptes m'achevêêêr Jéérêêêmy ?

- Il s'agit d'un magasin comme un autre.

- Jamêêis, tu m'entends : jamêêêêis de la vie, je ne mettrêêi un seul pied chaussêê de Mêêphisto là-dedans.

Il se referma comme une huître jusqu'à ce que je quitte le bureau.

Quand je reviens, il ajoute une précision :

- Ce jean te moule trop bien les fesses...

Au secours : il me drague.

A mon tour de crier « Arrrgh scandale !, sacrilège !, abomination ! »

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