12. JEAN-EUDES EST TRÈS PORTÉ SUR LA CHOSE...

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Jean-Eudes est d'une ponctualité exemplaire.

Chaque matin, il arrive, en général, le premier dans le service.

Et – en général – après avoir éteint l'alarme, il allume les lumières du couloir, puis les tubes au néon du bureau où il réside ; il retire ensuite son sublime manteau de la marque Astrid T., enclenche alors son pc et il file préparer un café corsé pour toute la tribu*.

* "En général", car ce drôle d'oiseau qu'est Jean-Eudes ne pratique pas toujours dans cet ordre-là : il lui arrive parfois d'oublier le code de l'alarme (et une grande panique le tétanise alors) ou il se rend compte qu'il n'y a plus de paquet de café moulu en stock (et une grande panique le tétanise alors) ou il n'allume pas la lumière car il fait déjà clair dehors ou... il ouvre le journal au lieu d'ouvrir son ordinateur.  

Jean-Eudes va à l'encontre de tous les stéréotypes vis-à-vis des fonctionnaires puisqu'il respecte scrupuleusement ses horaires de présence... Sauf que le prétendu dandy omet une chose essentielle : il convient de combler les heures de présence par une activité humaine ayant pour but de produire quelque chose d'utile, c'est-à-dire une obligation plus communément dénommée sous le terme générique de "travail".

Quant à moi, je débarque très régulièrement en retard*, le visage fripé avec la marque de l'oreiller, et à bout de souffle (j'ai couru depuis la station de métro jusqu'au bureau !). Je suis censé prendre mes fonctions à huit heures et j'arrive souvent entre 8h15 et 8h30**. Je fonctionne au radar une bonne partie de la matinée. Lui, en revanche, pète la forme.

* Chut, faut pas le répéter !

** Plutôt vers 8h30, j'avoue... Nobody's perfect.

***     ***     ***

Alors que je m'efforçais à démêler d'obscurs problèmes de finances avec ce foutu logiciel de la Collectivité, Mister Trusq débarque dans le bureau* d'une façon théâtrale et entre dans le vif de son sujet qui percuta mon entendement :

« J'adôôôre le pornôôô. ».

* Il quitte régulièrement sa place pour déambuler de bureau en bureau et jouer au coq parmi les poulettes de la basse-cour (pardon à mes chères collègues de sexe féminin).

Désarçonné par cette déroutante remarque au même titre que mes deux collègues, nous relevâmes la tête de l'écran et nous contentâmes d'écarquiller les yeux.

S'en suivit un silence pesant qui me sembla une éternité.

« Et vous, ajouta-t-il ? »

Envisageait-il de lancer un grand débat autour des bienfaits que procure l'assouvissement de ses fantasmes, de la pratique de l'onanisme dans un coin discret et de la libération de nos pulsions secrètes ?

A 9h30, à vrai dire, je sommeille encore et je ne suis pas apte, sur mon lieu de travail, à débattre de relations hétérosexuelles dans des films payants.

Malgré la débandade* qui s'annonce, le Jean-Eudes ne se décourage pas ; il se lance dans un éloge du porno. En vrac, nous pénétrons* son intimité et apprenons qu'il est grand consommateur de vidéos X : cela facilite les préliminaires (dixit). Il aime sa femme mais aussi les femmes. Toutes les femmes.

* Sans jeu de mot malsain, s'il vous plaît. Vous me connaissez, ce n'est pas le genre de la maison ! ,o)

Il aime les seins. TOUS les seins. TOUTES les formes de seins : ceux en poire, ceux en orange, ceux en citron, ceux en pamplemousse, ceux en ananas** et autres comparaisons fruitières, ceux qui remplissent les mains d'un honnête homme (dixit), ceux qui ont les tétons qui pointent, ceux qui ont des textures fermes, ou plus moelleuses, dans un décolleté pigeonnant, dans un wonderbra, libérés de la pression du soutien-gorge ou exhibés sur les plages, ceux dans des bonnets A, B, C ou D. Le must est de pouvoir les palper, les pétrir, les malaxer et autres synonymes qui lui font frétiller la cervelle... celle qui se situe bien évidemment au niveau de son bas-ventre.

** En ananas ! Je ne suis pas fin connaisseur en la matière mais à vrai dire, je visualise mal... Ça n'piquerait pas un peu ?

Après ce long et affligeant soliloque, le silence se plante à nouveau entre nous quatre.

J'échange des regards interrogatifs avec mes deux collègues.

Jean-Eude en rajoute alors une couche :

« Vous saviez que la forme des seins dêêêtermine le caractèèère des femmes. »

Mes deux collègues semblent très peu réceptives à son argumentaire, il me prend à parti :

« Toi, t'en penses quoi, Jêêêrééémy ? »

De quoi j'mamelle ! Oups... De quoi je me mêle ?

Je le fusille du regard. Je n'observe pas la poitrine de mes collègues avec tant d'avidité.

Aucunement déstabilisé par notre mutisme collégial, il poursuit :

« Le mêêêtier que j'aurais rêêêvé d'exêêrcer, c'êêêst celui de photographe.

- Pourquoi es-tu ici alors ?, s'agace l'une des collègues.

- J'aurais pu voir des femmes nues toute la journée.

- Pardon !

- Je voulais être photographe pornôôô... car je suis très douêê pour faire l'amour. »

CQFD. D'un, nos oreilles avaient du mal à le croire ; de deux, nous ne saisissions pas vraiment le rapport entre ses prouesses invérifiables et son goût pour la photographie.

***      ***      ***  

Suite à ce choc des cultures, l'anecdote fut rapportée et d'autres langues se sont déliées.

Jessica, la secrétaire, m'a relaté qu'il était venu lui demander de vive voix si son copain la comblait – au niveau sexuel ! – au cas où elle n'avait pas bien compris. Elle lui avait répondu sans sourciller que cela ne le regardait en rien et que s'il avait osé aller plus loin, elle le giflerait.

N'en demeurait que cette intervention subite dans le bureau et cette intrusion dans sa vie privée, de surcroit en présence d'autres collègues, l'avait profondément choquée.


Un autre collègue avait eu le droit à : « Et ta femme, elle a une bonne poitrine ? »

Ce à quoi, il avait rétorqué du tac au tac : « Et toi, t'en as une grosse ? »

J-E.T. n'avait pas insisté.


En aparté, Jean-Eudes m'a confié qu'une nana, dans un café, lui aurait proposé (notez l'emploi du conditionnel.) de faire l'amour avec elle... et son copain.

Une partie de jambes en l'air à trois ?

Avec cet énergumène ?!

Ça fait froid dans le dos.

Il faut vraiment avoir une vie sexuelle pitoyable pour en arriver à de telles extrémités.

***      ***      ***  

Diantre, on dirait que j'ai tiré le gros lot avec cet obsédé de première dans mon futur bureau*.

* Je ne vous l'avais pas dit ?! J-E.T. et moi attendons qu'un bureau se libère pour travailler conjointement. Youpi !

Certains sont assis en face d'un Brad Pitt ou d'un Julian McMahon**, moi je vais me farcir Jean-Eudes TRUSQUOSIFFREDI et ses nombreux fantasmes.

** Le sublime Docteur Christian Troy dans la série "Nip Tuck", deux petites fesses à croquer comme deux belles pommes juteuses. Oups ! Jean-Eudes !, sors de mon corps.

Il me faudra sans doute calmer ses ardeurs au plus vite car il a l'air chaud-bouillant comme la braise le gaillard. Quant à ses débordements lubriques, ce n'est pas avec un gay comme moi qu'il pourra débattre sur les gros nichons ! Toutes mes excuses mesdames pour cette vulgarité primaire, j'essaie de me mettre à son niveau.

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