CHRONIQUES DE BUREAU

22. GUY S'EN "MÔQUET"

De : OUKACHA Soraya

À : STORM Jérémy

Objet : Rrraaaahhh !!!!

Envoyé : lundi 23 novembre 14:09

Rrraaaahhh !!!! Rrraaaahhh !!!!

C'est le cri de rage fracassant que je pousse suite à cette matinée absolument désastreuse que Raffie et moi venons de subir !

Tu ne comprends rien ? C'est normal.

Je me calme et je reprends tout depuis le début.

Ce matin, j'arrive toute pimpante, dynamique et joyeuse. (Je n'ai pas eu mes z'enfs dans les pattes durant deux jours. Le week-end fut donc reposant car d'un calme olympien.) Je suis donc arrivée au bureau, fraîche et en pleine forme.

« Bonjour les filles ! », je clame avec un grand sourire.

Gros Cul beugle un borborygme et Animaux Morts est toujours aussi... absente.

Je m'installe, allume mon P.C. et commence cette insipide besogne sur écran.

Peu après, Raffie pénètre en ce lieu de cervelles éteintes pour m'apporter un dossier. Ravie de retrouver un esprit percutant, j'entame la discution. Je t'épargne les détails.

En résumé, la conversation – très enrichissante en soi avec Raffie – dérive sur le Ministère de l'Education Nationale qui impose la lecture programmée dans les établissements scolaires de la lettre polémique de Guy Môquet.

Mal m'en a prit, j'ai interpellé les filles sur le sujet. Aucune réaction... mis à part un regard hébété que je mets sur le compte de la mauvaise humeur due à la reprise en ce début de semaine. Je fais part de mes observations et objections à Raffie.

Naturellement nous enchaînons sur les déroulements de la Seconde Guerre Mondiale. L'italienne en elle trouve que la France est hypocrite de ne parler que de ses résistants et non pas de Vichy et des collabos...etc.

Soudain, Animaux Morts lève une paupière :

« D'façon, j'comprends rien à c'que vous racontez !

- Nous parlons de la Seconde Guerre Mondiale...

Silence interdit et yeux de merlan frit prêts à lui sortir du crâne.

- ... et des évènements qui en découlent !...

Toujours le silence. Sa bouche s'entrouvre mais aucun son n'en sort.

J'étais le commandant Cousteau en face d'une morue, pardon d'un mérou. MDR.

- 39-45 ?!, insisté-je... Le IIIe Reich, le nazisme...

Et là – tiens-toi bien Jérémy, car c'est au-delà de l'invraisemblable !!! - elle me répond :

- Non, j'vois pas bien... J'crois qu'on a dû survoler ça à l'école. C'est rentré par une oreille et sortie d' l'autre !

- Comment ça sur-vo-ler ? (Je crois que ma voix s'est décrochée pour partir dans les suraigus) Moi je te parle de la Seconde Guerre Mondiale. Tu sais bien de quoi il s'agit quand même ?!!!! On ne survole pas la Seconde Guerre Mondiale au lycée.

- Ben nan, ch'sais pas... Enfin si, une guerre mais franchement ch'sais pas trop c'qui s'est passé... »

Nous restons complètement interloquées, choquées, sidérées, abattues par tant de vide intersidéral. Comment une fille de 33 balais qui a été à l'école, qui a fait des études post BAC, qui vit en France et qui est française, mère de deux enfants, ne peut pas savoir ce qu'est la Seconde Guerre Mondiale ??? Vivait-elle au fond d'une grotte ? Était-elle prisonnière des FARC au cœur de la forêt amazonienne ? Est-elle venue au monde à l'âge de 30 ans ? A-t-elle subi un lavage de cerveau ? Je n'ai pas compris et j'ai éprouvé une colère sourde et profonde. J'étais à deux doigts de lui dire : « Sache qu'à partir de maintenant, je te méprise ! »

Je détourne l'attention et continue de parler avec Raffie de diverses mesures prises par nos Présidents français.

Animaux Morts intervient à nouveau :

« Mais pourquoi que tu t'intéresses autant à ça ? »

D'un calme qui m'échappe moi-même, je lui explique que je ne m'intéresse pas à l'Homme mais au Chef de l'État dans lequel je vis. Un président prend des décisions, des réformes, des lois qui auront un impact dans notre vie. Tout ce qui concerne l'Éducation Nationale, les impôts, la ville, que sais-je encore influencent notre vie, notre famille, notre travail.

Elle m'a rétorqué :

« Non ! Moi, j'men fous de ce qu'i' dit, ça change rien pour moi... J'm'intéresse pas à c'qu'i' fait ou c'qu'i' dit !

- Quand tes impôts flambent, quand le programme scolaire évolue ou se transforme – toi la mère de deux enfants dont un scolarisé, quand les taxes augmentent pour les fumeurs – toi qui grille clopes sur clopes, quand il y a des radars supplémentaires sur la route – toi qui conduis ; tu es concernée directement donc tu ne peux pas affirmer ça ! »

Sa réponse ? Des yeux mornes et sans vie.

« Je suis chiante, c'est ça ?, demandé-je

- Oui, tu es chiante ! »

J'ai failli exploser Jérémy... Qu'elle me trouve chiante, c'est son droit. Mais toute la bêtise sortie de sa bouche en l'espace d'une petite demi-heure m'a insupporté à un point que tu ne t'imagines même pas.

Dans l'après-midi, coup de théâtre, Animaux Morts me fait la tronche !

Pour qui se prend-t-elle ? C'est à moi de faire la gueule, pas à elle.

Je suis enragée mon chouchou.