30. UN EMMÉNAGEMENT PAS FENG-SHUI

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Aujourd'hui, Jean-Eudes et moi déménageons de nos bureaux respectifs, lui de ses quatre mètres carrés dans lesquels on l'avait confiné et moi, je quitte avec regret ce doux cocon avec deux collègues exceptionnelles. La grande aventure de la "vie commune" commence à prendre forme...

Point de déménageurs au rendez-vous. Rien que nos muscles atrophiés d'athlètes sédentaires ; autant dire que tous deux peinons dès lors que la charge excède les six kilos.

Aucune* bipède au sein du B.C.D. n'aura daigné lever le petit doigt pour nous apporter son aide à transbahuter les kilos de paperasses d'un bureau à l'autre. Chacune de ces hominidées* prétendait avoir une tâche importantissime et urgentissime et pas la moindre minute à nous accorder.

* Permettez-moi cette fantaisie grammaticale car plus de 80 % des agents sont des femmes.

Curieux pourtant de constater que ces consciencieuses fonctionnaires s'accordent de longues pauses clopes et bavardages et que des conciliabules avec mug de café en main et/ou barres chocolatées se forment dans quelques recoins du service alors que nous suons à grosses gouttes.

Do it yourself, Jérem' !

Après avoir transporté des cartons, des piles de dossiers et de classeurs, je suis en nage : le polo me colle à la peau et de grosses auréoles disgracieuses débordent sous les aisselles.

Petite digression à propos du déodorant Axe. Son célèbre "effet" n'aura pas agi. Un homme banal comme moi qui se sera aspergé à plusieurs reprises d'Axe n'aura pas été poursuivi par une bande de sauvageonnes en furie et assoiffées de sexe et les anges ne seront pas tombés du ciel après chaque pshiitt. Non ces sauvageonnes demeuraient confinées dans leur coin à nous observer.

Je m'attaque ensuite à l'ordinateur. Je me sens tout à fait capable de débrancher quelques fils de l'antique machine pour les reconnecter à l'identique quelques mètres plus loin. Pas bien compliqué !

Jean-Eudes, gesticulant tel un gibbon avec les bras au-dessus de sa tête, intervient et me stoppe dans mon élan.

J'avais oublié l'interdiction formelle de déplacer tout matériel informatique sans autorisation écrite formelle, validée et signée par le grand chef de la Direction de l'Informatique. (La demande de changement des postes informatiques vingt mètres plus loin a été envoyée par la secrétaire peu de temps après mon arrivée au sein du B.C.D., soit il y a cinq mois environ. La direction spécialisée à cet effet interviendra donc dans un futur proche – plus ou moins lointain ?! – et délèguera un agent compétent en la matière.

Très bien. Message reçu.

L'ordinateur ne bougera pas de place.

Il est urgent d'attendre !

Don't do it yourself, Jérem' !

A propos d'ordinateur, quand vous vous rendez compte que Jean-Eudes est incapable d'utiliser le système de messagerie Outlook – et je n'évoque même pas Excel – et qu'il dispose toujours la feuille à l'envers dans le photocopieur, mieux vaut éviter qu'il joue les kamikazes avec les branchements de risque que la machine n'implose.

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Autre problème : le ménage.

Les lieux sont restés inoccupés depuis plus d'une année. Visiblement, la technicienne de surface n'a pas été prévenue de l'emménagement et n'a pas dépoussiéré la zone. Laissés à l'abandon, placards et étagères ainsi que le rebord des fenêtres concentraient près d'un centimètre de crasse noire. Souffler dessus et vous déclenchez illico une véritable tempête du désert sous forme de particules volantes non identifiées.

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