CHAPITRE 23

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Une heure passe, puis deux heures, et enfin je ne compte plus. Kayla a fini par piquer un somme pendant que moi je plane. Le tic-tac de l'horloge m'a fait dériver dans une autre sphère. Dans une autre époque.

J'ai huit ans.

Mon papa travaille beaucoup pour payer le loyer en temps et en heure. Ce soir, ce sera sûrement des pâtes à la carbonara, mais avec du jambon, parce que les lardons ne rentraient pas dans notre budget de la semaine.

Oui, parce que pour me faire plaisir, vu que j'avais ramené de bonnes notes à l'école, il m'avait acheté des yaourts au chocolat.

Aujourd'hui, Laura s'est encore moquée de mes chaussures avec ses copines. Parce que ce n'était pas de la marque. Mais moi je les aime, parce que c'est Papa qui me les a offertes pour mon anniversaire l'an dernier. Il les avait négociées avec un brocanteur.

J'étais triste qu'on se moque des baskets que Papa m'avait achetées. Mais aujourd'hui, Papa vient me chercher à l'école ! Je suis trop contente ! Comme Papa travaille trop, je dois prendre le bus scolaire pour rentrer à la maison, mais aujourd'hui, il a promis.

— Vous savez maîtresse, aujourd'hui mon papa a bien travaillé. Son patron a dit qu'il pouvait venir me chercher à l'école !

Elle a acquiescé en souriant.

Alors j'ai attendu, je me suis installé sur un banc près du portail de l'école. Laura, elle, sa maman venait la chercher tous les jours.

La chance.

Mais aujourd'hui, moi aussi j'ai de la chance.

Mon sac rose sur le dos et Pedro dans les bras, je chantonne les dernières chansons de Lorie en observant la cour se désemplir.

Les parents viennent chercher leurs enfants, les maîtresses parlent avec certains d'entre eux, et moi j'attends.

J'entends les maîtresses parler entre elles.

« Son père n'est pas encore là. ».

« Essaye peut-être de le joindre ? »

« Oui, mais on a fini de travailler nous, on fait comment ? »

« La pauvre, elle avait l'air si contente. »

Je me lève de mon banc pour me rapprocher du portail. Je guette la venue de mon père.

Je sais qu'il va venir...

Finalement c'est Tata Tiphaine qui est venu me chercher. J'ai passé la nuit chez elle, on a mangé des haricots et du poisson. Le poisson était bon, mais les haricots, beurk.

Moi, je voulais les pâtes de Papa.

Il m'a récupéré chez Tata le lendemain matin. Papa m'a serré tellement fort dans ses bras! Il m'a pris par la main et nous sommes rentrés à la maison. Il s'est excusé tout du long. Il n'arrêtait pas de dire que c'était un mauvais père, qu'il m'avait promis, qu'il était désolé et qu'il ne recommencerait plus.

Alors je lui ai fait un câlin, et je lui ai dit que je l'aimais. Je lui ai pardonné, parce que je sais qu'il avait ses raisons. Et puis, ce n'est pas grave, on peut toujours manger des pâtes à la carbonara ce soir !

Avec un bon yaourt au chocolat.

Des larmes chaudes et amères se mettent à brûler mes lèvres gercées.

Où me suis-je encore perdue ? Dans un lointain et doux souvenir ...

Est-ce que je lui ai suffisamment dit que je l'aimais ? Est-ce qu'il sait à quel point je lui suis reconnaissante pour tout ce qu'il a fait pour moi ? Est-ce qu'il est trop tard pour lui dire ? Pitié, non.

Je ravale mes larmes entre deux sanglots, prenant garde à ne pas réveiller Kayla qui dort toujours à point fermé.

L'instant d'après, le Dr.Solar fait irruption par l'autre porte de la salle d'attente, celle qui mène à la salle de réanimation où se trouve mon père.

Il me tend la main en premier, Kayla venant à peine d'ouvrir l'œil.

— Mademoiselle Dantan ? Je ne m'attendais pas à vous voir ici. Mme. Desnaud est venu avec vous ?

— Oui..., je lui confirme en levant le menton vers Kayla.

Tous deux se fixent et échangent un hochement de tête entendu.

— Nous avons réussi à le stabiliser. Pour l'instant, il se trouve en salle de réveil, mais dès qu'il ira mieux vous pourrez lui rendre visite. En revanche, je ne suis pas certain à 100 % que cela pourra se faire aujourd'hui.

— Je vais att..., je bredouille.

— Je peux attendre. Arianne, retourne à la maison. Tu as besoin de repos, m'interrompt Kayla.

— Mais c'est mon père ! Je ne vais quand même pas le laisser ici !

— Moi je suis là. Et puis franchement, penses-tu que ton père ait envie de te voir dans cet état-là ? Quand as-tu pris un vrai repas pour la dernière fois ? Et tu portes encore les vêtements de ton responsable.

À ces mots, je sens un grand creux dans mon estomac. Les croissants de Charly se sont déjà volatilisés.

Elle sort son portefeuille de son sac à main et me tend une poignée de billets.

— Appelle un Uber et préviens moi quand tu es rentré à la maison. Je te contacterai lorsqu'il se réveillera.

Face à l'insistance de Kayla, je n'ai pas grand choix.

Je suis l'enfant dans l'histoire, et on met toujours les enfants de côté. Que faut-il que je fasse pour qu'ils se rendent compte tous les deux que je ne suis plus une enfant ? Que je n'ai plus besoin qu'on me dorlotte ?

Je remercie le médecin et quitte tristement la salle d'attente.

DIAMOND SCHOOL TOME 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant