Chapitre flashback 8:jeux d'enfant. Partie 2:Point de rupture

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Assis sur l'une des branches du grand conifère planté dans le jardin, j'attends calmement. Mon nom est Julien. Juste Julien, sans nom de famille. Enfin, pour l'administration, c'est Julien Srepel. La nuit va bientôt tomber, et je vais devoir repartir comme je suis arrivé. Avant de redescendre discrètement de mon perchoir, je remarque du mouvement à l'une des fenêtre de la bâtisse. Finalement, je descendrais un peu plus tard. Il vaut mieux profiter de l'instant qui va s'offrir à moi. Il faut bien savourer l'instant, après tout, la vie est tellement fragile. Pas seulement physiquement, mais aussi psychologiquement. Il est si facile de la faire flancher. De la modeler, de la transformer et d'en faire tout ce dont on a besoin.. Prenez Héloïse par exemple. Une jolie jeune fille modèle, issue d'une famille de riche bourgeois, fille unique, avec une bonne éducation tant culturelle que sportive et scolaire. Quelqu'un sans histoire en somme. Il suffirait qu'elle rencontre quelqu'un comme moi, pour que sa conception du monde change. En réalité elle l'a déjà fait, Mais pour le moment je préfère maintenir cette situation, où moi je la connais parfaitement, mais où elle ignore complètement mon existence. Nous sommes dans le même collège. Elle vient tous les jours dans une voiture conduite par un chauffeur, Frank Blanchard. Elle habite au 42 rue Bill Boquet, une grande maison peinte en blanche. Son jardin est très bien entretenu et assez conséquent pour une demeure en ville, les acacias sont très jolis d'ailleurs. La porte est un peu vieille, et il faut pousser assez fort pour l'ouvrir. Pour ce qui est des parents d'Héloïse, ils se trompent mutuellement, en sont bien conscient mais préfèrent maintenir le statut quo. Elle pratique l'escrime avec son père, mais elle n'a pas encore son niveau. Elle a perdu leur dernier match 5-2.  Je pourrais encore continuer à donner moult autres détails plus précis et plus...croustillant, mais ce ne serait pas utile. Je sais tout d'elle. Pourquoi est-ce que je fais tout ça ? Pourquoi est-ce que je la suis constamment ? Pourquoi j'écoute incessamment ses conversations, pourquoi est-ce que depuis que j'ai découvert ce trou dans le mur qui borde leur maison, je m'y glisse tous les jours, et, profitant des actuels vacances scolaires, je grimpe dans cet arbre pour l'observer ? Parce qu'elle a tout. Chez elle, tout le monde est en bonne santé, elle est riche, possède tout ce dont elle à besoin pour réussir dans la vie, talent, intelligence, ambition, beauté et j'en passe. Elle ne manque de rien. Mais ce n'est pas suffisant. Une chose est pourtant absente, puisqu'elle n'est manifestement pas heureuse. Alors il faut bien découvrir ce que c'est. Cette petite chose est importante. Plus importante que tout. Finalement, la lumière s'éteint dans la pièce où porte mon regard. Alors mes jambes retrouve la fermeté du sol, et je me retire. Sans avoir été vu par qui que ce soit.

Je n'ai pas de véritable famille. Je n'ai que mon grand frère de vingt ans, Adrien.  De ce que je sais, nous n'avons pas de parents. Je n'ai que de très vagues souvenirs. Une voix, un cri. La seule chose qu'Adrien à bien voulu me dire, c'est qu'ils ne nous serviraient à rien. Et je le crois.  Il ne me mentirait jamais. Comme quand il me dit qu'il va guérir. Si il le dit, alors il guérira. Même si il ne va pas voir les médecins, il dit qu'il peut battre la maladie seul. Même si il fait de plus en plus de crise, il dit qu'il va bien. Et si il le dit, c'est vrai. Tout c'est toujours plutôt bien passé jusque là. Pourquoi ça changerait ? J'y repense en sortant de la ville. Nous habitons un peu à l'écart des autres. Après tout c'est moins cher et c'est plus...intimiste ? Enfin, aujourd'hui encore, alors que je rentre dans notre petit logement, il est là, et il me sourit. Il a préparé à manger. Il suffit de ça, finalement. C'est peut être ça la seule chose qui lui manque. Quelqu'un en qui avoir vraiment confiance. Adrien me regarde, l'air fatigué mais bienveillant. Nous mangeons ensemble, en parlant de tout et de rien, et en nous faisant des blagues. Lorsque finalement je regagne le relatif confort de ma couchette, je me dis que demain sera une bonne journée.

Au milieu de la nuit, un grand bruit de fracas me réveille. Je saute de mon lit et fonce vers la cuisine. Adrien est effondré contre les placards. Il tient une boite de médicament dans une main, l'autre est plaquée contre son cœur. Il me regarde, avec des yeux vides. "Tiens...Rend moi service...Attrape le cachet...il a glissé..." En effet, un petit médicament gît sur le sol, à quelque mètre de lui. Je l'attrape, et me dirige vers lui. Alors que je vais lui donner, une petite voix s'éveille dans ma tête. "Et si tu ne lui donnait pas ?" Je n'ai absolument aucune raison de faire ça. Pourquoi je ne le sauverai pas ? Il a toujours été là pour moi. J'ai confiance en lui. " Oui mais... Tu pourrais ne pas lui donner. Sa vie ou sa mort dépendent de toi. Tu es tout puissant. N'est-ce pas formidable ? Pourquoi couper court à ce bonheur ?" Ce bonheur ? Est-ce que...Est-ce que c'est ça, cette chose qui manque ? Il y a un seul moyen de le savoir. "Oui vas-y. Au fond de toi tu sais très bien qu'il va mourir de toute façon..." Je jette le médicament au sol, et l'écrase du pied devant l'œil incompréhensif de mon frère. Il trouve la force de lever la tête vers moi une dernière fois, puis ses yeux se ferment à jamais. Je savoure l'instant. La mort l'emporte délicatement, gracieusement. Une tension presque palpable s'installe dans la pièce. C'est si bon ! Je me sens euphorique. Son âme quitte son corps tandis que la mienne se grise de ce moment.  Oui...Oui ! Ce frisson ! Cette sensation ! J'ai trouvé ! Maintenant, je connais une jeune fille qui a aussi besoin de connaître la clé du bonheur.

AmbreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant