Warck - Survivre

10.

J'ouvris les yeux sur une ombre blanche face à moi. Ses yeux bleus éclairant presque la nuit qui nous entourait me firent frissonner. Le voir me regarder dormir m'incitait à penser que je n'avais pas à lui faire remarquer sa présence en ces lieux, comme je l'aurais fait à un autre.

— Désolé de te déranger ; je crois qu'il faut qu'on parle.

Je hochai la tête et l'invitai à s'asseoir sur le lit, à côté de moi.

Il hésita une seconde, mais finit par se rapprocher doucement et s'asseoir par terre, comme l'a toujours fait un tigre. Me sentant stupide, je détournai les yeux pour m'intéresser à la table de nuit à ma gauche.

La façon dont il étirait son corps pour y arriver me rappela qu'il avait été homme avant tigre... et qu'il avait beaucoup plus d'expérience que moi dans la vie.

— Je voulais juste être sûr que tu savais bien qui était ce type, avec son fauve.

Je l'observai un moment, m'éclairer sur ce sujet n'était pas de refus.

— Tu m'as dit qu'il se nommait Diego.

— En effet.

Il acquiesça.

— Et c'est lui qui te l'a dit, ce matin... à une auberge, c'est bien cela ?

— C'est bien cela, La Bonne Biair, plus précisément.

Il hocha de nouveau la tête ; son regard se fit plus dense. Il se perdit un instant dans ses pensées avant de relever vers moi des yeux glacials. Je pus presque apercevoir ce mauvais souvenir lointain qui le rongeait de l'intérieur depuis si longtemps.

Plus que du sérieux, son regard transpirait également la peur. Une peur qui en disait long de toute une vie. Celle-là même que j'avais aperçue issue de notre rencontre avec Diego.

— C'est pour cela que nous devons fuir le plus loin possible de cet homme, finit-il par dire.

— Mais pourquoi ? m'énervais-je. Qui est cet homme, à la fin ?!

J'étais à bout de nerfs. Son silence ne faisait que ronger encore plus ma curiosité. Il baissa les yeux et j'avais envie de lui sauter à la gorge et de le forcer à me répondre immédiatement. Et c'est ce que j'aurais fait s'il ne m'avait pas enfin lâché la réponse à toutes les questions qui circulaient dans ma tête.

— Dieugo... dit-il dans un murmure que je pus à peine entendre.

Je devins livide.

Alors c'était bien réel.

J'avais entendu tant de choses à son sujet, que ce soit par mon père ou les bouquins. Il avait déjà piqué ma curiosité alors que je n'avais encore que cinq ans. Cet homme m'avait intrigué, émerveillé ; encore ce matin, me dire que le plus grand dieu du monde avait vécu à mes côtés presque toute mon enfance était... perturbant. Très perturbant. Que j'aie encore affaire à lui aujourd'hui l'était encore plus.

Il me regarda à nouveau en face, affrontant mon regard trouble.

— Mais... pourquoi moi ? me posais-je la question plus pour moi que pour le tigre en face de moi.

— C'est à toi de me le dire...

Évidemment, rien ne me venait à l'esprit... Peut-être que les cieux me reprochaient mes actes et l'avaient envoyé pour me supprimer ? Ou le passé parental y était pour quelque chose... Après tout, je ne connaissais pas grand-chose de leur vie à deux, ma mère étant morte peu de temps après ma naissance. Mon père n'en parlait jamais. Ni de son apparence ni de sa personnalité. Que ce soit de sa mort ou de leur vie passée ensemble, ce sujet avait toujours été à éviter en toute circonstance.