Ciel d'hiver [BxB]

Juin - 4

Nagini est le serpent de Monsieur-sans-nez. Il est assez effrayant, comme tout bon serpent qui se respecte, et participe activement à la méchanceté de son maitre. Il est même une partie de lui, c'est pour dire. Franchement, est-ce que je dois en rajouter plus pour décrire un animal qui rampe sur le sol et qui a deux gros capable de prendre votre bras en sandwich ? 

Nous ressortons de la voiture en essayant de lisser nos vêtements, pour ne pas laisser paraître que nous venons de passer un moment fort agréable sur la banquette arrière. Et si je ressemble à Curtis, c'est mal barré. Ses cheveux sont dans tous les sens et sa chemise est légèrement froissée. Nous aurions peut-être dû ne pas jouer aux fainéants et retirer tous nos vêtements.

— Au pire, il n'y a personne sur le parking. Ça veut sans doute dire qu'il n'y a personne dans le restaurant, essaie de me rassurer Curtis en m'offrant un rictus moqueur. Et je te rappelle qu'on a fait pire. La dernière fois, on n'était pas à l'extérieur, mais à l'intérieur.

Il éclate de rire, et pose une main sur mon épaule.

— Ne te prends pas la tête, d'accord ? Ce rendez-vous a merveilleusement bien commencé, on ne va pas le gâcher avec du stress.

— Est-ce que... ça te dérange que je sois moins... posé que toi sur le sujet ?

— Pas du tout. Parce qu'une part de moi tremble autant que toi.

Il me sourit pour me donner du courage et je commence à marcher vers la porte d'entrée du restaurant. Je prends une grande respiration en la poussant. Moi qui voulais rejouer notre premier rendez-vous, c'est gagné. Le soir du bal, j'étais plus ou moins dans le même état. J'avais peur de ce qui se tramait dans ma tête, et qui grignotait mon cœur. Là, j'ai peur du regard des autres.

— Oh, BugerFast, ça fait longtemps qu'on ne t'a pas vu !

La serveuse que je connais bien — bien que je ne sache pas son prénom — nous saute à moitié dessus à l'entrée. Elle devait préparer sa réplique, parce que j'ai appelé pour réserver. J'ai dû être inspiré ce jour-là, parce que malgré notre intermède dans la voiture, nous sommes à l'heure.

— Oui, eh bien, figure-toi qu'on a tenté de me convertir à une autre cuisine. Mais je reviens toujours à mes premiers amours. Les burgers d'ici.

J'entends Curtis siffler comme un serpent derrière moi, et je me détends. Ce n'est pas marqué sur mon crâne que je viens de prendre mon pied avec un autre garçon. Il faut que le monstre se calme.

— Je te mets comme d'habitude ?

— Bien sûr.

— Et pour Monsieur ?

— La même chose. Mais avec un supplément de sauce. Si possible, bien entendu. Elle est particulièrement délicieuse.

La serveuse lui fait un clin d'œil, pendant que je m'effare de ma place. Je mime la question silencieusement, en articulant bien, pendant que la jeune femme note nos commandes sur son carnet.

— Que fais-tu ?

— Tu verras, me répond-il de la même manière, avec son sourire mutin.

Quel petit diable. Je suis certain qu'il va recommencer à me chauffer. Sauf que cette fois-ci, il aura totalement conscience de ses gestes, et de leur effet sur moi.

Nous allons nous asseoir à une table, contrairement à la dernière fois, où nous étions sur le bar. C'est Curtis qui insiste, et je sens que ce rendez-vous est en train de m'échapper. Je devrais être le meneur. Est-ce une vengeance pour le traitement que je lui ai fait subir dans la voiture ? J'ai pourtant eu l'impression de combler toutes ses espérances.