Une histoire de méchants

356 38 62
                                    

Décembre 2025

— J'ai un thé vert à la menthe pour... Adil ?

Je m'avance vers le comptoir en levant la main pour indiquer que c'est moi. La vendeuse me tend mon gobelet où mon prénom a été écorché — une sorte de running gag ici — et je vais vite m'asseoir à la place que j'ai repérée il y a dix minutes. Je presse même le pas en voyant, du coin de mes verres, un groupe lorgner sur mon endroit fétiche.

Coby me dit toujours que je suis un cliché parce que je viens travailler dans un Starbucks avec mon Mac sous le bras, mes lunettes aux branches fines et dorées, et mon gobelet en papier recyclé. Le problème, c'est que j'aime cet endroit, car il me permet de voir d'autres êtres humains. C'est un aspect du travail freelance — et plus encore du mien — qu'on oublie assez souvent. C'est très solitaire, et la plupart de mes communications se font par mail. Certes, je peux travailler de littéralement où je veux — c'est bien pour ça que je suis revenu à Belfast — mais je ne fais pas l'impasse sur les défauts.

J'ouvre mon ordinateur, je pose mon doigt sur le bouton de reconnaissance pour le déverrouiller et je me mets au travail. J'ai déjà mon casque sur les oreilles et la musique file depuis que j'ai quitté mon appartement. D'ailleurs, c'est aussi une raison de venir au café : l'endroit est assez vide — je n'ai pas acheté tous mes meubles — et je ne m'y sens pas encore chez moi. Coby, en bon meilleur ami, dit que c'est parce que je n'ai pas encore fait de pendaison de crémaillère. Et sur ce point-là, il a raison.

C'est pour cette raison qu'aujourd'hui, ma journée est découpée en deux : la première consacrée au travail, et la seconde à la préparation de ladite fête. Coby n'étant pas disponible — il bosse au cabinet qui l'a engagé à la fin de ses études — c'est Sacha qui s'y colle.

Quand ces deux-là se sont rencontrés, j'ai eu très peur que ça fasse des étincelles. J'estimais qu'une partie était de ma faute : j'avais présenté Sacha au futur vétérinaire comme son équivalent féminin. Je passais la plupart de mes journées avec elle : lorsqu'elle travaillait dans son restaurant pour payer ses factures, j'y restais de nombreuses heures avec mon ordinateur pour coder. Et le soir, nous nous retrouvions en cours, à discuter plutôt qu'écouter les bêtises racontées par nos profs. Connaissant le caractère de Coby, j'étais effrayé par sa possible jalousie.

Ça a fait des étincelles, mais pas dans le sens que j'avais prévu. Quand ils se sont rencontrés pendant une visite de Coby à Dublin, il a eu... le coup de foudre. Ça n'a jamais été la personne la plus intéressée au monde par la romance. L'amour amical, oui, celui de sa famille aussi. Mais depuis que son petit cœur — avouons-le, d'artichaut — a été brisé au début de son adolescence, il a préféré éviter les sentiments amoureux comme la peste. C'est pour cette raison que j'ai été atterré quand il m'a annoncé qu'elle lui plaisait. Jusqu'à ce que je laisse à la jeune femme lui annoncer que ce n'était pas du tout son genre — littéralement.

— Mon truc, ce sont les filles. T'es mignon, mais c'est pas possible. Désolée.

Coby étant quelqu'un de bien élevé, il n'a fait aucune remarque et a souri de manière très gênée. Le problème, c'est que son cœur, lui, n'était pas d'accord. Pendant un an, il s'est traîné des sentiments pour une fille qu'il ne pouvait pas avoir.

— Je sais qu'elle est lesbienne et je respecte ça à fond ! À chaque fois que je la vois, j'ai l'impression de tomber plus encore amoureux d'elle. Et ça me fait chier comme ce n'est pas pensable, parce que je gâche mon temps et que je ressemble à un gosse quand je lui fais face.

J'ai tenté de le rassurer, et même de lui faire rencontrer des amies parfaitement hétéros de Sacha. Rien ne marchait. Et Samuel a tenté la même chose du côté de Coleraine, avec le même résultat. Coby était amoureux de Sacha.

Ciel d'hiver [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant