Sauron n'est pas un méchant de science-fiction. Sauron est juste un grand oeil qui voit tout, une sorte de lampadaire géant sur la Terre du Milieu. Il brûle d'amour pour son petit anneau, le précieux, le trésor, l'unique. Il a une voix qui fait peur, et c'est d'autant plus effrayant parce que c'est un oeil, et qu'un oeil, ça n'a ni bouche, ni cordes vocales. Il est assez embêtant, parce que même si on le croit mort, il finit par revenir pour réclamer son fichu anneau. Faut lâcher l'affaire mon gars !
Oui, je suis de retour. Et peut-être que je vais vous jouer un mauvais tour.
Curtis sursaute en m'entendant. Tellement que je commence à penser qu'il ne s'y attendait pas. Qu'il a posé la question en s'imaginant que j'allais répondre que ce n'est pas réel, et que son cœur allait se briser dans sa poitrine. Je tourne la tête vers lui, qui me fixe comme si je n'étais pas réel — c'est le cas de le dire.
Je passe mes mains dans son dos, et je le ramène contre moi. Il comprend sans que j'ouvre la bouche. Ses paumes viennent retrouver mes joues, et il m'embrasse de tout son cœur. Ça ne dérape pas le moins du monde, mais on ne s'arrête pas pour autant. Comme si Curtis ne voulait pas me lâcher, pour ne pas se réveiller de ce rêve, pour ne pas abandonner cette fantaisie que son cerveau lui offre. Ce « et si ? » qui lui brisera le cœur quand il comprendra que ce n'est pas vrai. C'est pour cela que lorsqu'il se détache pour reprendre son souffle, le front collé contre le mien et ses beaux yeux fermés, je glisse.
— C'est réel Curtis. Je te le promets.
Il est prêt à pleurer. Ses joues et sa bouche tremblent, et il est extrêmement tendu contre moi. Ses doigts sont appuyés sur ma peau, comme pour la marquer. Il se raccroche à la réalité. À vrai dire, je ne comprends pas cette réaction. Est-ce parce que je suis aromantique et qu'il pensait que ça n'arriverait jamais ? Est-ce parce qu'il croit toujours que c'est un monstre et qu'il ne mérite pas que quelqu'un entretienne des sentiments pour lui ? Je ne sais pas, et je ne veux pas savoir.
Je lui fais me lâcher les joues — je commence à avoir mal — et je le ramène contre moi pour le serrer dans mes bras. Sa tête est contre mon cœur, qu'il écoute comme la plus douce des musiques. J'espère que ça va le calmer et qu'il va comprendre. Que même si pour l'instant, je me sens incapable de prononcer les mots — en dehors de c'est réel — ce que je ressens pour lui est fort, et dépasse absolument tout ce que j'ai pu connaître.
Ma main vient rencontrer ses cheveux, que je caresse tout doucement. Je nous allonge complètement sur le canapé, nos jambes tout entremêlées. Les siennes sont pliées pour faire comme s'il était plus petit que moi.
Il reste là, contre moi, sans demander le moindre baiser. Il écoute simplement mon cœur en se répétant que ce qui vient de se passer n'est pas un rêve.
Je ne sais pas combien de temps nous demeurons dans cette position, mais c'est la clef tournant dans la serrure qui fait sursauter Curtis. Il se dresse comme un suricate à l'affût, et fixe sa sœur qui est en train de rentrer. Une parole en arabe — que je suppose être un juron — lui échappe.
— Ça ne fait rien, chuchoté-je. Je vais me glisser dehors par-derrière et sortir à côté de la piscine. Elle ne me verra pas.
Il me retient par le bras. Son regard surpris a laissé la place à la détermination. Et étrangement, à une sorte de fierté.
— Non. Ne bouge pas. Elle peut te rencontrer.
Je n'ai jamais râlé sur le fait que je ne devais pas voir Sybil, parce que je suis exactement pareil avec Heather. Elle ne connaît même pas l'identité de Curtis. Je ne suis pas spécialement effrayé par cette rencontre, je suis juste déçu de devoir abandonner notre secret. C'était quand même assez sexy.
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Ciel d'hiver [BxB]
Novela JuvenilCurtis est un con depuis qu'il a dix ans. Trahissant son meilleur ami pour intégrer le groupe des enfants populaires (sans succès), il a tout fait pour rentrer dans les cases que lui impose la société, quitte à nier sa propre identité. Mais bien mal...