Ciel d'hiver [BxB]

Juin - 8

Nous retrouvons toute l'équipe d'organisation et une bonne partie des membres de l'association au départ de la marche. Le trajet est décidé en amont avec la ville, et des policiers sont là pour encadrer la manifestation et veiller à ce que tout se déroule bien pour tout le monde. Certains nous fixent comme des bêtes de foire, et d'autres nous sourient de toute leur dent. Mais moi, je suis focalisé sur ceux entre les deux : ceux qui sont si neutres que j'ai l'impression de me revoir avant, quand personne ne connaissait mon secret à l'école. Peut-être qu'ils sont comme moi. Que ces hommes et ces femmes aimeraient venir avec nous, s'assumer, et montrer au monde entier qu'ils sont des arcs-en-ciel.

On me sort de mes pensées, en me donnant le panneau que j'ai préparé exprès pour moi. Sa particularité, c'est qu'il est double-face. La première est fuchsia, pour marcher aux côtés de Curtis. Et la seconde est grise, quand la photo vue du ciel de l'arc-en-ciel aura été prise. J'ai percé deux trous au centre pour accrocher une ficelle, et faire comme un chapeau. Beaucoup de mes collègues de l'association m'ont imité, et je n'en suis pas peu fier. C'est une technique pour porter le carton sans avoir de crampes aux bras ou aux mains, et posséder une seconde pancarte par exemple.

Heather dirige tout cela avec une main de maître. Elle est équipée d'un porte-voix, et hurle ses ordres sur les distributeurs de carton, afin qu'ils aillent trouver le maximum de monde, pour que l'arc-en-ciel soit le plus long possible. Certaines personnes paraissent sceptiques, d'autres sont à fond dedans, et ça fait très plaisir à voir. De plus, j'entends des voix s'élever sur le fait de devoir choisir une seule couleur, et même si c'est contre Heather, ça me fait sourire. C'est le signe que je suis loin d'être le seul à penser ça, et que mon idée n'est pas bête. Ce n'est pas parce que je suis un tout jeune arc-en-ciel, qui commence seulement à s'assumer, que je ne sais rien du tout.

On nous donne encore quelques explications quant à la sécurité, au bon déroulé de la marche et au bien vivre en société, et nous commençons enfin à avancer. Quelques associations militantes ouvrent le cortège, et nous partons à leur suite. Au début, avec Curtis, nous ne savons pas quoi faire. Nous tentons de retrouver des visages connus dans la foule, Athol ou Stanislas, mais nous sommes entourés d'inconnus. Certains chantent, d'autres crient des slogans, quelques-uns s'embrassent carrément à en perdre haleine. Je les trouve exceptionnels et courageux, parce que je ne me sens même pas capable de prendre la main de mon copain.

Heureusement pour moi, Curtis a du courage pour deux. Ses doigts s'insinuent très lentement entre les miens. Il commence par l'auriculaire, comme pour demander l'autorisation, et voyant mon manque de réaction, continue avec les autres. Je les serre de toutes mes forces, réchauffé par ce contact — il ne fait pas spécialement chaud, mais il ne pleut pas — et encouragé par son sourire. En me tournant vers lui, je murmure.

— Merci.

— Pourquoi ?

— Parce que tu as cette capacité hors de commun de museler le monstre. Et que tu es en train de m'apprendre comment faire.

Et cette réplique scelle le début de notre Pride. Nous nous libérons d'un poids, nous sourions, hurlons, chantons. Nous sommes incroyablement fiers lorsqu'Heather annonce dans le magnétophone que les photos vues du ciel ont été prises. Curtis m'aide à retourner mon panneau, et certaines personnes alentour en sortent de nouveau. On se fixe, on étire nos lèvres et on se comprend sans se parler. Ça fait tellement de bien.

La marche continue avec ce rythme et cette bonne humeur. Nous sommes peut-être seuls avec Curtis, mais l'important, c'est que nous soyons tous les deux, en couple. Jusqu'à ce qu'il s'arrête subitement, comme figé. Nous nous faisons bousculer par d'autres personnes qui s'excusent pour la plupart.