Il est fort court mais je ne me voyais pas faire une scène en plus, et au moins, il est là !
— Bonjour Samuel. Je suis ravie de faire votre connaissance. J'ai beaucoup entendu parler de vous.
Je souris en serrant la main de la psychologue. Je retiens la blague au fond de ma gorge pour éviter de passer pour un gars lourd, et je m'assieds sur le siège derrière moi. Curtis me fixe comme si j'allais disparaître dans la seconde et ça colore un peu mes joues de rouge. J'ai l'impression d'être scruté et je n'aime pas ça.
— Je ne suis là qu'en tant que soutien moral. Je ne parlerais pas, sauf si c'est nécessaire, je préfère vous prévenir. C'est sa séance à lui.
— Bien entendu. Commençons, vous voulez bien ?
Curtis hoche la tête et prend une grande respiration. Le saut dans le grand bain. Je ne sais pas si ça sera les deux pieds en avant.
— J'ai revu mon frère à la Pride.
Oh. C'est tout en même temps. Le plongeoir de dix mètres de haut, et le plouf en plat. Mon cœur se déchire encore une fois à l'évocation de cette ignoble personne. Curtis commence à raconter l'entrevue et répète exactement les mêmes mots que Rahim, comme s'il les avait imprimés au fond de son esprit. Il se tient droit comme un I sur cette chaise, le regard planté dans le mur derrière la psychologue, les mains sur ses cuisses. Je ne le lâche pas des yeux, mais en même temps, je n'ose pas faire de geste vers lui. J'aurais l'impression de briser quelque chose.
— A-t-il fait un commentaire sur votre orientation sexuelle ?
Je sursaute à la question posée, avant d'encore une fois me reporter vers Curtis. Il s'est détendu d'un coup, tout aussi surpris que moi. Dans toute cette mélasse dans laquelle il nage, il n'a pas vu ce petit point doré.
— Non. Aucun. Après, il est mal placé pour dire quelque chose. Il est pire que moi. Il se planque derrière un faux Instagram. Moi au moins, ma sœur, mes amis, tous mes proches sont au courant.
Il se tourne vers moi et j'aperçois son sourire. Ça me rappelle encore une fois que je ne vais pas être obligé de le quitter en août. Et j'étire mes lèvres à mon tour.
— Vous savez, même si vous appartenez à une communauté, vous pouvez être perçu comme oppresseur. C'est ce que vous avez fait aux yeux de Valentin et Eliot.
Sans crier gare, les doigts de Curtis viennent chercher les miens et se nouent. Il a apparemment plus besoin de moi que lorsqu'il a fait le récit des affres de son frère.
— Il vous en a parlé ?
— Non, et je ne vous révélerais rien. C'est simplement une conclusion à faire au vu de ce que vous m'avez raconté. Donc, à mes yeux, le fait que votre frère n'ait pas été homophobe envers vous ou votre couple, c'est une bonne chose.
— Ça veut dire qu'il peut être sauvé, c'est ça ? Que je dois lui pardonner ou une connerie comme ça ?
Ses doigts me serrent. Il est en train de prier dans sa tête, je le sais.
— Non. Ça veut dire que je vais pouvoir me servir de ça pour vous faire remonter la pente. Cette Pride a été un grand pas pour vous, Curtis. Et si je ne m'abuse, également pour vous, Samuel. Personne n'a critiqué cette facette de vous. Personne n'est venu vous chercher d'histoires. Et vous avez été vous-mêmes pendant ces quelques heures.
C'est vrai que si l'on oublie la rencontre avec Rahim, ça s'est très bien passé. Et surtout, j'ai ressenti de la fierté à être au milieu de tous ces gens comme moi. J'étais fier d'être un arc-en-ciel. Je sais que je ne suis pas guéri de toute cette détestation interne, et que le monstre gratte encore. Mais j'étais fier.
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Ciel d'hiver [BxB]
Подростковая литератураCurtis est un con depuis qu'il a dix ans. Trahissant son meilleur ami pour intégrer le groupe des enfants populaires (sans succès), il a tout fait pour rentrer dans les cases que lui impose la société, quitte à nier sa propre identité. Mais bien mal...