Chaebol

- 18 -

Pendant deux semaines, Jungkook n'adressa pas la parole au châtain, refusant chaque tentative, chaque geste, chaque excuse de sa part. Le seul contact résidait dans le fait que tous les soirs, Taehyung entrait dans la chambre de Jungkook vers vingt-deux heures, et attrapait le tube de crème sur la table de nuit. Jungkook ôtait son t-shirt, et l'héritier massait le dos du plus jeune avec douceur.

Au fur et à mesure ça devint moins douloureux pour Jungkook. Ses plaies se refermaient et certaines étaient devenues rose pâle. Il pouvait de nouveau dormir sur le dos et ne plus souffrir le martyre à chaque fois qu'il enfilait un t-shirt.

En dehors de ça, il évitait Taehyung, ne lui accordant aucun regard. D'ailleurs Jungkook s'était renfermé. Il était devenu un robot. Il se levait le matin pour aller en cours, montait dans la voiture et répondait aux questions de Bogum sur le fait qu'il ait bien dormi où assez mangé comme si tout ce qui l'entourait était d'une banalité assommante. Les réponses étaient brèves et ne laissaient pas d'ouverture possible à la conversation.

À la SNU, il suivait les cours attentivement et discutait avec Hoseok de choses futiles. À l'heure du déjeuner, ils retrouvaient Jimin et ils déjeunaient ensemble des nouilles ou tout autre repas très peu cher dans le mart du campus. Les garçons sentaient que Jungkook avait changé, et il ne répondait jamais à aucune de leurs questions. Jimin avait même tenté de laisser un mot dans le sac de Jungkook, et lorsque celui-ci l'avait découvert une fois rentré au manoir, il l'avait lu puis jeté dans sa poubelle sans prendre la peine d'y répondre. Après les cours il passait par la bibliothèque pour étudier. Il étudiait d'ailleurs tellement, qu'il en devenait encore meilleur, surprenant ses professeurs par sa vivacité d'esprit et son intelligence. Les étudiants connaissaient maintenant Jungkook comme étant « le quatrième Kim », sans en porter le nom, et les journalistes s'amassaient toujours autant devant les grandes grilles universitaires ainsi que devant le manoir. Pourtant, aucun d'entre eux ne parvenait à capter la moindre information au sujet du garçon. Certaines filles avaient commencé à l'approcher, à tenter leur chance. Mais Jungkook les avait toutes gentiment congédiées. Il assistait aux repas d'affaires ainsi qu'aux réunions, et écoutait attentivement. Il s'était même permis de poser quelques questions à monsieur Kim lorsqu'ils s'étaient retrouvés tous les deux, surprenant l'homme à s'intéresser à son affaire. Jamais il n'aurait cru capter l'attention du plus jeune aussi rapidement.

Mais en réalité, Jungkook n'allait pas bien. Chaque soir, après avoir attendu que Taehyung ait dîné, il descendait à son tour, refusant de croiser l'héritier ou de partager un repas avec lui, et grignotait en piochant çà et là dans le réfrigérateur. Ensuite il retournait dans sa chambre et attendait le passage de Taehyung en travaillant sur ses cours. Une fois que le manoir retrouvait le silence, Jungkook attrapait la photo de ses parents, celle qu'il avait accrochée sur la tête de lit, et regardait les traits de chacun d'entre eux. Il avait si peur d'oublier leur visage, que sa mémoire finisse par les effacer complètement. Il craignait d'un jour tomber sur eux, et ne pas parvenir à les reconnaître.

Un jour, peut-être dans vingt ans, alors il retournerait à Busan, dans la maison qu'il avait connue. Mais il ne reconnaîtrait pas le couple qui y habiterait. Parce que ses souvenirs auraient été corrompus, parce qu'il ne se souviendrait plus avoir vécu là. La peur d'oublier ne le quittant pas, il regardait cette photo, la serrant entre ses doigts, et finissait par s'endormir en pleurant. Il n'avait pas de photo de Yugyeom. Seulement dans son téléphone qui lui avait été enlevé. Et parfois, lorsqu'il pensait à son ami, son visage paraissait flou dans sa mémoire. Peut-être qu'il pensait qu'il l'avait oublié ? Jimin et Hoseok n'étant pas autorisés à parler de sa situation, Jimin inventerait sûrement un mensonge. Mais finalement, Yugyeom penserait que l'université aurait transformé le garçon et qu'il serait passé à autre chose.