Chapitre 36

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Il est minuit. Ce soir, c'est mon anniversaire. Jennifer a insisté pour organiser une fête chez elle, et comme d'habitude, j'ai cédé, espérant avoir la paix.

Elle m'avait simplement demandé d'être à l'heure. Pourtant, même avec toute la volonté du monde, je n'arrive pas à trouver la motivation pour cette soirée. Chaque mouvement me semble pesant, chaque respiration un effort. Jennifer finit par m'appeler, inquiète de mon retard.

- Juliette, tu fais attendre tout le monde... Elle paraît vexée.

- Désolée... Jennifer, je ne peux pas... Je n'y arrive pas, j'ai juste envie de disparaître...

- Juliette, écoute-moi, tout va bien, ce n'est pas grave. J'arrive d'accord ? Juliette, dis quelque chose... Son ton s'adoucit aussitôt.

- Pourquoi est-ce si dur, pourquoi... Quand j'ai quitté le Japon, j'avais menti... Je savais qu'il viendrait me chercher, du moins je l'espérais. Je sanglote. Mais maintenant... maintenant, je sais qu'il est parti pour de bon, il m'a fait la promesse de me laisser tranquille, Jennifer...

- Tu vas surmonter cette épreuve... Je t'en supplie, Juliette, ne fais pas de bêtises. J'arrive d'accord ? Nous devons discuter de tout ça, nous finirons par trouver une solution, comme nous en avons l'habitude.

- Jennifer, je ne sais plus quoi faire, je ne peux pas imaginer ma vie sans lui. Je me sens pathétique, c'est insupportable, mais je suis complètement perdue.

- Non, tu n'es pas pathétique, tu es follement amoureuse. S'il te plaît, laisse le temps guérir tes blessures, laisse-moi t'aider. Tu as besoin de soutien, d'une présence, d'une oreille attentive... Elle cherche ses mots avec empathie.

- Pardonne-moi, Jennifer... Je ne suis qu'une idiote... qui ne mérite pas le bonheur. Mes larmes coulent et ma voix s'étouffe peu à peu sous mes sanglots.

Je raccroche et éteins le téléphone.

Je me dirige ensuite vers la salle de bain, la vision troublée par les larmes. Dans le placard à médicaments, je saisis le flacon d'antidépresseurs et le vide dans ma main avant d'avaler le contenu avec un verre d'eau. Une terrible douleur s'empare de mes entrailles et un vertige me fait tourner la tête. Quelques secondes suffisent pour me retrouver à terre, me tordant de douleur. Heureusement, un voile sombre et apaisant finit par recouvrir mes yeux, m'épargnant une longue agonie.

Étrangement, la fameuse lumière au bout du tunnel ne m'apparaît pas, et aucune voix divine ne parvient à mes oreilles. Néanmoins, je me sens légère, comme une plume. "Suis-je en train de flotter entre les nuages ? Ai-je quitté mon corps ?"

Soudain, le mur de silence se brise et des voix se font entendre autour de moi. Elles s'approchent progressivement, devenant de plus en plus claires. Je distingue rapidement celle de Jennifer. La pauvre semble terriblement inquiète, elle pleure même. "Pardon !" Je pense profondément. Je sens sa main tenir la mienne, mais je ne la vois pas, mes yeux refusent de m'obéir.

"Vilaine petite chose, tu as franchi la ligne rouge ! Comment as-tu osé nous faire une chose pareille ?"  Me réprimande ma petite voix intérieure, prenant soudainement le dessus sur le bruit qui m'entoure.

"Tais-toi ! Ferme-la !" Je réplique comme si je parlais à quelqu'un à mes côtés.

"Tu as surmonté un viol, mais tu ne peux pas surmonter le départ d'un homme ?!"

"Je ne peux pas, je ne peux plus vivre ainsi !!" Je hurle intérieurement. Je sens une larme couler sur le côté de mon œil.

Un voile sombre et pesant retombe lentement sur mon esprit, enveloppant mes pensées dans un silence oppressant. Ma voix intérieure, qui n'était que murmures étouffés, se tait enfin, laissant un vide béant dans mon esprit. C'est comme si j'étais sur le point de m'évanouir dans l'obscurité, emportée vers un abîme inconnu.

Je perds toute notion du temps, plongée dans un océan d'incertitude. Je ne saurais dire quel jour nous sommes ni même l'heure qu'il est, mais je peux sentir l'obscurité de la nuit peser lourdement autour de moi, comme une couverture étouffante.

Une voix, à la fois grave et douce, résonne près de moi, vibrant dans l'air comme une caresse. Elle semble si proche, comme si elle émergeait des tréfonds de mon être, m'enveloppant de sa présence rassurante et enveloppante.

- Comment as-tu pu faire une chose pareille, ma belle ? murmure une voix masculine, tandis qu'une main tendre se pose sur ma joue.

J'essaie d'ouvrir les yeux, mais mes paupières sont lourdes comme du plomb. Chaque tentative de mouvement est entravée par une fatigue écrasante, comme si une force invisible me maintenait prisonnière. Quelque chose me retient, m'ancre dans les profondeurs de cet obscur trou où je me sens piégée. C'est une sensation de détachement, comme si mon esprit flottait quelque part entre la conscience et l'oubli.

La voix continue de murmurer des mots réconfortants, mais ils me parviennent comme à travers une épaisse brume. Je veux répondre, expliquer, mais ma gorge est sèche et aucun son ne sort. Les souvenirs de ce qui s'est passé tourbillonnent dans ma tête, mais ils sont flous, comme des ombres dans la pénombre.

La main sur ma joue trace des cercles réconfortants, essayant de me ramener à la surface. Mais je me sens tellement épuisée, vidée de toute énergie. Chaque partie de mon corps est lourde, comme si des chaînes invisibles m'entravaient.

- Baka (stupide) !! Tu n'as pas le droit de te faire du mal, je te l'interdis !! La voix est étranglée, chargée de douleur.

 "Kaito..."

Il est là, si près, mais je me sens figée, prise au piège, incapable de lui répondre ou de bouger.

" Kaito, je suis là !!" Je crie son nom avec toute la force de mon être.

Mon cœur bat la chamade, le bruit des machines résonne dans mes oreilles. Des mains s'activent autour de moi.

- On va la perdre !! Vite... Une voix féminine, empreinte d'urgence.

- S'il vous plaît, faites quelque chose !! Prononce Kaito, vibrant d'inquiétude.

- Monsieur, sortez s'il vous plaît. Tonne une voix masculine que je ne reconnais pas. S'adresse-t-il à Kaito?

"Non, ne pars pas, Kaito..."

- Passez-moi le défibrillateur, ordonne la voix féminine.

À nouveau, je suis happée par les ténèbres, les sons autour de moi s'estompant peu à peu.

Dans cette obscurité, des rêves étranges me submergent. Je me retrouve souvent à l'âge de cinq ans, revivant le moment où on m'a annoncé la mort de mes parents. Le policier, cherchant maladroitement ses mots. Madeleine me serrant dans ses bras, en larmes. Ensuite, je me vois chuter sans fin d'une falaise, comme prise dans une boucle temporelle.

Il m'arrive également de revivre le moment où j'ai retrouvé Kaito sur la plage. C'est étrange, mais c'est le seul instant de réconfort au cœur de ces sombres ténèbres.

Dans cet abîme, le son de sa voix résonne comme une lueur d'espoir, m'accrochant à un souvenir de chaleur et de sécurité. Les ténèbres me tiraillent, mais ce souvenir de Kaito est une ancre, un rappel que quelque part, il y a de la lumière au bout de ce tunnel sans fin.

Un ticket gagnant (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant