Tu dors et tu m'oublies, Ahkilleus. Vivant, tu ne me négligeais point, et, mort, tu m'oublies. [...] Donne-moi ta main, je t'en supplie en pleurant, car je ne reviendrais plus du Hades [...] Jamais plus, vivants tous les deux, nous nous confierons l'un à l'autre, assis loin de nos compagnons.
xxiii , Iliade, Homere
Mes yeux étaient grands ouverts dans la pénombre de ma chambre, Muse hurlant dans mes oreilles. Les bras de Morphée me rejetaient, encore et encore, malgré mes supplications. J'étais las, fatigué, je ne voulais plus me battre pour de toute façon pas rêver.
J'étais un corps sans vie écrasé sur mon lit, morbide esquisse du moi d'avant. Icare livré aux charognes après avoir rôti sous l'œil du soleil méprisant.
J'attendais.
Ma poitrine était compressée, mes poumons semblaient emplis de cendres et de noirceur, mes jambes étaient de l'acier, du béton, mes bras du coton. Je ne pouvais bouger, je ne pouvais respirer. Il semblait que je ne pouvais vivre.
Mon Patroclus me manquait.
Nous nous étions rencontrés complètement par hasard, les doigts des Parques s'étaient amusés à tisser. J'étais à la bibliothèque de la fac, peu réveillé, coincé entre l'idée abstraite d'une clope ou d'un café. Je cherchais du Baudelaire, mes yeux plissés longeaient l'étagère B avec difficulté. Un grand homme obstruait ma vision, son écharpe rouge traînait derrière lui. Embêté, je lui avais demandé de se décaler. Il s'était tourné vers moi, sourire large, mon Baudelaire dans les mains, pull blanc trop serré caché sous une veste de détective privé. Ses yeux de miel avaient paru m'englober tout entier. Je m'étais senti minuscule. J'étais persuadé que c'était un prof, au début, il avait l'air si érudit. Mais il était en L2, c'était bien un élève, un élève beau et terriblement terrifiant.
Il s'était assis à une table, près de moi, Baudelaire en main. Il sentait l'amande, il emplissait mes narines, je ne pouvais me concentrer sur les alexandrins, les diérèses, les rimes. Il emplissait mes poumons, je l'inspirais et l'expirais au rythme de mon coeur chamboulé. Il avait remarqué du coin de l'œil ma panique totale, avait pris ça pour de l'anxiété, m'avais proposé une pause des révisions avec un café. J'avais accepté, complètement transformé par son parfum étourdissant, oubliant mes mots et mes pieds. J'avais trébuché tant de fois qu'il ne pouvait s'empêcher de me rire au nez. Nous avions troqué le café pour une séance de ciné, épaule contre épaule, deux heures d'emblée.
Fatigué, il avait posé sa tête contre la mienne, sa respiration mentholée si proche que je crus succomber.Mon soleil.
C'était difficile de l'oublier. Il ornait mon ciel parmi mes nuages clairsemés. Durant la nuit noire je savais qu'il m'attendait. Ça me perturbait.
Donne-moi ta main
J'espérais qu'il m'appelle. Qu'il prétexte vouloir prendre de mes nouvelles. Qu'il parle de Camille, Camille que je n'avais pas vu depuis six mois, Camille qui ne savait pas, Camille, prétexte irréel pour me voir. Je m'accrochais à un espoir malsain, inhumain. Patrocle voulait de moi. Mon ambition guerrière ne me perdrait pas. Dans cette version, il n'y avait que lui et moi. Moi, lui. Lui. Il était mon Hélios, mon soleil, mon tout, je ne pouvais continuer sans lui, il était mon talon.
Larmes salées dégoulinant sur ma joue, effaçant la masculinité que je tente de préserver. Je suis un guerrier. Ma lame est tranchante. Je suis meurtrier.
Qui des dieux les mit donc aux prises en telle querelle et bataille?
VOUS LISEZ
Achille
RomanceIcare brûle, Icare s'enflamme, mais le soleil l'acclame. Icare aime le soleil d'un amour éternel