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Est-ce-qu'il y a quelque chose de plus terrifiant que l'amour? La vulnérabilité que cette maladie mentale sous entend, cette coquille qui s'effrite pour laisser place à l'être, l'être entier, le poète illettré qui arrête de cacher ses sentiments dans des mots embourbés de sens et qui se laisse dénuder, qui se laisse vider de son sang-sens. Est-ce-qu'il y a quelque chose de plus déstabilisant qu'accepter, oui, accepter , accepter qu'on peut aimer à en crever, qu'on peut aimer un être brinque-ballé, brisé, un être-vent-brise-souffle d'automne, un être rouleau-bourreau de printemps?

J'ai l'impression de devoir vomir mon coeur pour pouvoir ressentir pleinement le vif de la vie.

Je ne suis pas sûr de réussir à concevoir le monde—l'amour—l'immonde. Je ne sais pas si en fermant les yeux j'arrive à dessiner ce que je ressens, ce que je reprends, ce que je revends. Je ne sais pas si je suis capable d'accepter que mon Patrocle m'aime avec infinité. Je ne sais pas s'il peut aimer l'être fracassé que je suis. Je crois que je n'y crois pas mais je laisse courir le temps et je refuse de réfléchir longtemps.


Il me tient. Il me tient comme s'il sent— sentait, sentira, sentirait— que je me sens envoler parmi les monstres de ma propre conscience. Je sais qu'il sait avant même que je ne sache que je suis en train de me noyer. Pistache. Il me tient contre lui et il sent la pistache, la pistache sucrée qu'on trouve en boulangerie, celle qui lui rappelle sa mère et la garderie. Il me raconte son enfance comme si je la connaissais pas par coeur, comme si à travers ses yeux je ne la voyais pas se dérouler. Il me tient comme si j'allais m'éventrer.

Est-ce-que c'est ça, être aimé? C'est d'accepter de se faire tenir par un autre alors que les morceaux de son âme sont emportées par le vent briseur de sens?

" Je t'aime" il murmure. C'est une incantation, une promesse, un poème illustre.

" Je t'aime." je réponds. Une solution à tous mes problèmes.


Il fait chaud, il fait beau. Pourtant les nuages à l'intérieur sont gris-bataille. Bataillon qui annonce l'orage. Pourtant quand il se met à genoux une éclaircie pointe son nez rouge tomate. Il fait beau, il fait chaud, il fait tomate-été-pivoine. Il se met à genoux et je me sens m'effondrer de bonheur. Oxymorique anachronique amour.

" Achille. Achille, Achille, Achille. Ton prénom est assez pour susciter mille et un poèmes héroïques. Mais tu n'es pas qu'un héros. Tu n'es pas qu'un Dieu, et tu n'es pas qu'un humain. Loin de là. Ça serait réducteur de te réduire qu'à une part de tes parties. Je digresse. Achille. Mon bel Achille. Mon poète éperdu, mon homme écartelé, mon héros fracassé ( de fatigue, de peur, d'amour, de lueurs parisiennes un peu bleutées, de souvenirs, de plage égratignée). Tu sais, souvent, quand deux poètes se rencontrent, c'est comme une explosion. Une explosion de mots, une bataille des sens, une polyphonie, polysémie, cacophonie... Souvent, quand deux poètes se rencontrent, c'est comme une apocalypse poétiquement écrite. Des vers qui relatent un monde qui se meurt, qui brûle, qui perce les strates de la stratosphère, de la galaxie. Je ne suis pas scientifique, ne m'en veut pas, tout ce que je dis n'a aucun sens. Purée, Achille, je suis littéraire, je suis téméraire, je suis poète et tu m'en arraches quand même— tout de même— malgré tout— les mots de la bouche. Devant toi je suis muet, je suis peut être même sourd, je n'entends plus rien— rien que les battements de ton coeur. J'en perds les pédales, mon vélo crash— BOOM— dans un putain de buisson. Quand je t'ai rencontré les rails de ma vie ont dévié, le rer D n'est jamais arrivé, le métro s'est enfoncé dans la cambrousse et BAM. BOOM. Explosion. Je suis devenu tien, alors que je n'en voulais, je n'en savais, je n'en connaissais rien. Je ne suis plus qu'un poète dévoué à sa muse, je ne suis rien qu'une effluve de café sans noisette sans toi. Alors Achille, l'amour de ma vie, la plume de mes nuits, Achille, mon héros qui s'enfuit, Achille, mon héros épanoui, mon p'tit monstre favori, Achille, veux-tu bien m'octroyer l'honneur, non, le bonheur, de devenir mien pour toujours, pour la vie?"

Pause. Coup de théâtre.

" Achille, mon amour, veux-tu m'épouser?"

AchilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant