Je suis un spectacle de mort-vivant écrit à l'arrache par un homosexuel dépressif obsédé par un amour flamboyant, héroïque et passionnel, ayant oublié que cet amour est si grandiose qu'il se brise par ses failles. Je suis un spectacle déprimant relatant la vie d'un monstre imparfait, obsédé par un être qui le détruit, comme toutes victimes de traumas, je suis un spectacle envoutant parce que je suis comme tous les autres, je ne suis pas spécial, je ne suis pas différent, je suis autant l'auteur que le lecteur, l'auditoire que l'acteur.
Quand Thomas me prend dans ses bras, je sens l'odeur de l'alcool et de la cigarette, celle de son assouplissant, de son shampoing et de son déodorant, son dentifrice à la menthe et son gel douche pour homme-alpha. Quand Thomas me prend dans ses bras, je brûle et j'oublie l'amour pur et héroïque et antique que j'éprouve pour mon Patrocle. Mon Hector. J'oublie tout, jusqu'à ce que j'oublie l'humanité et la compassion.
Quand, enfin rentré, je retrouve Hector, je suis une esquisse de moi même. Je le touche comme pour oublier, comme pour lui rappeler que je l'aime, et je m'effondre de fatigue.
Thomas m'emmène nul part. Nous restons dans son appartement, fumant des clopes, des joints, buvant à longueur de journée. Nous restons nus, collés l'un à l'autre, et son corps m'emplit le coeur. Ses doigts me font vibrer. Juillet devient feu et flammes.
Je me perds tellement que je n'ose imaginer ce que pensent les autres. Je sais que c'est moche, que c'est noir, que c'est fou et que ça va me faire du mal. Je suis distant, effacé, jamais à la maison quand ils viennent voir Hector. Je travaille le soir, dans un bar un peu bondé, je travaille en regardant mon client préféré, vêtu de son manteau d'érudit, puis il me touche dans un cubicle et je le laisse me souiller. Le matin, je suis chez Thomas, toujours sous lui, le soir, je travaille, et je suis contre lui dans les toilettes du bar, mourant contre son corps brûlant. La nuit, je suis sur Hector.
Les journées se mélangent. Elles ne sont que chair, charnelle passion que je ne sais définir. L'argent disparaît dans des clopes et de l'alcool. Hector paye le loyer et je le rembourse comme je peux. Athena rit à mes blagues à demi-fracassées. Roman s'inquiète de ma sobriété qui se raréfie. Styx s'inquiète de ma fatigue. Et moi, j'oublie. J'oublie ma faillibilité, j'oublie les erreurs que je ne cesse de commettre, j'oublie mon âme dépitée, damnée.
Je ne parle de Thomas à personne. Peut être que c'est une mauvaise idée, moi qui me plaignait de ce connard constamment. Pourtant je ne veux plus me plaindre. Mais je ne peux évidemment pas parler de ses mains, de ses yeux, de ses larmes sans éveiller des soupçons. Alors je dors, je travaille, et je ferme ma gueule.
" J'aimerais bien passer la journée ensemble demain."
" Je bosse, Hector."
" Le soir, non?"
" J'ai besoin de dormir. Et tu travailles, non?"
" Je peux prendre ma journée."
" Je suis fatigué."
" D'accord."
Nous ne parlons plus. On se touche, on s'embrasse, on se faire suer. C'est tout. Nos silences autrefois si éloquents sont maintenant des silences fatigués, énervés, emplis de rancoeur. C'est de ma faute. C'est parce que je suis un monstre énervé, plein de colère, qui brise tout ce qu'il touche. C'est parce que je suis un démon, que je suis Satan personnifié, bien loin d'un ange déchu pourtant.
Je sais qu'Athena veut ma peau, je sais qu'elle voit qu'il souffre de ses longs horaires et de mes silences, j'entends parfois leurs disputes à travers les murs quand ils pensent que je dors, j'entends parfois ses mots virulents. Mais je suis tellement ivre de Thomas que je ne vois plus les conséquences de mes inepties. Je deviens froid et calculateur, j'évite l'appartement comme la peste, je travaille deux fois plus, je passe toutes mes pauses dans l'appartement enfumé de Thomas, redevenu bordélique.
Juillet est un incendie qui ne cesse de se propager. Le soleil brille si fort que je crois mourir, il fait si chaud que je passe mes journées luisant de sueur, je suis si fatigué que j'en oublie la réalité. Je fonds en Hector, je fonds sous Thomas, je vis un rêve-cauchemar éveillé.
J'écris poème après poème, des poèmes si déchirants que je sens leurs succès à plein nez. Je les envoie, reliés dans un imprimé effeuillé, à une maison d'édition renommée, je ne sais plus comment respirer, je vis dans des mots, dans des phrases, dans des vers, dans une sexualité alambiquée.
Thomas m'encourage entre deux pauses clopes, Hector sourit à demi quand je lui annonce, je continue d'écrire, je passe tant de temps penché sur des feuilles, entre sueurs-passion-amour-violenté que mes stylos se vident et que je claque ma thune dans des fournitures scolaires. J'écris, j'écris, je vomis ma honte, ma peine, ma peur, ma passion sur le papier, j'écris ma sexualité, mes sueurs, mon corps, mes bleus avec tant de virtuosité que je sais, je sais, je sais que je vais réussir. J'écris l'alcool et les clopes et Paris à l'envers, j'écris Juillet brûlant, appartement nu et corps recouverts. J'écris mort et vie et dépression, j'écris colère et haine et verte ambition. J'écris tant que je me sens vide, jusqu'à ce que Thomas m'emplisse encore et encore et encore et encore et que je revomisse tout sur le papier le soir même. Je travaille d'arrache pied, je vomis ma douleur je recrache ma prose je recrache ma passion je recrache mes lésions je recrache ma haine, mes couleurs, l'ampleur du Paris dénonciateur, je dénonce ma passion haineuse, mon homosexualité audacieuse, mes vers imbibés d'alcool auréolé.
Ode à moi même. Ode à ma haine.
J'écris tant que je revis.
Juillet devient un enfer productif.
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Achille
RomanceIcare brûle, Icare s'enflamme, mais le soleil l'acclame. Icare aime le soleil d'un amour éternel