We were inside the train car when I started to cry. You were crying too. Smiling and crying in a way that made me even more hysterical. You said I could have anything I wanted, but I jsut couldn't say it out loud. Actually, you said, Love, for you, is larger than the usual romantic love. It's like a religion. It's terrifying. No one will ever want to sleep with you. — Crush. Richard Siken.

Assis sur le pas de sa porte, une cigarette clouée entre mes lèvres comme pour me faire taire, mon édition de Crush dans la poche de son manteau évasé— celui qui lui donnait l'air d'un érudit, celui que je maudissais tant, celui qu'il portait à chacun de nos rendez-vous au Café, celui qu'il avait quand je l'avais rencontré à la fac, celui qui m'avait séduit— de la fumée s'extirpant de ses lèvres, serpentant dans les airs, expiant nos péchés.

Thomas dans toute sa splendeur.

Son prénom m'écorche la bouche, me brûle la langue, me révulse. Pourtant son corps m'est familier, presque doux, son corps me rappelle la maison, le feu de bois, les cerisiers. Ses mains brutales me bénissent, sa bouche violente me baptise, je suis feu et il est flamme et je veux qu'on brûle ensemble.

Il écrase sa clope dans un cendrier qu'il a posé plus tôt entre nous comme une barrière. Il fait chaud, le soleil nous tabasse, je rêve d'ombre et de pluie.

" Depuis quand tu lis du Siken?"

" Depuis que Baudelaire ne suffit plus pour mon coeur d'amant glauque."

" Quand je t'avais proposé de le lire t'avais dit que tu voulais pas le lire."

" J'étais pas à l'aise en anglais."

Des conversations si simples, brisant l'année et demie de haine que j'éprouve pour lui. Je lui parle comme à un vieil ami, je lui parle comme si je le détestais pas de toute mon âme, je lui parle comme s'il ne m'avait pas brisé en mille et un morceaux, comme si je n'avais pas dû voir un psychologue pour tenter de réparer les dégâts qu'il avait laissé. Je me sens hypocrite, monstrueux, désastreux, mais ce piège mielleux m'attire et je suis guêpe et je me laisse amadouer. Sucre et douleur se mélange dans ma bouche. J'accepte quand il me propose de rentrer boire un café, puis quand il voit son placard vide et qu'il me propose des shots, j'accepte toujours. Je bois un, deux, trois puis six shots avec lui, ma bouche à le gout de feu et de larmes, son visage me parait joyeux et presque humble. Quand, assis à même le sol sa bouche rencontre la mienne je ne le repousse pas, l'alcool vibre dans mes veines avec une force presque tumultueuse, sa main brûlante me fait vivre, ses lèvres chatoyantes réveillent le chaos dans ma poitrine alors pour le faire taire je l'embrasse fiévreusement, je l'agrippe, je le tiens contre moi avec une force que je ne me connaissais pas, je suis violent et brutal et il semble délirer contre moi, je vois que cette force, cette violence, cette haine lui plait plus que toute la souffrance et que toutes les pleurs et que tout l'amour pur que j'ai pu éprouver envers lui. La haine le fait vibrer, ses lèvres se font instantes, sa passion ne fait que décupler, il me touche avec brutalité et je ne le déteste pas, j'aime ses doigts, j'aime sa peau, j'aime le feu qui me fait fondre comme une bougie. Je me laisse carboniser contre lui, à même le sol, je me laisse faire face à son sourire carnassier, ses mains brutalisées, son corps élastique, sa peau brunie par un soleil tropical, son regard vieilli par maintes angoisses, sa mâchoire carrée, sa barbe de plusieurs jours, sa chevelure bouclée.

Je passe la journée chez lui, sous ses mains, sous son corps, sous sa violence cachée derrière un acte charnel. Il n'y a pas d'amour, que du crû, que nos corps qui se connaissent tant qu'il se haïssent. Tout me crie d'arrêter, mais dès qu'il me touche je flambe et je me laisse cramer.

Je rentre après diner. On a mangé, nus, entremêlés, allongés dans son lit complètement défaits. La sueur perlait encore sur sa peau, je brûlais encore.

Dans le métro, je pleure toutes les larmes de mon corps. Je pleure tant que mon corps tressaute, que je tremble comme une feuille, que je sens mon âme se fendre, mon coeur se briser, que mes muscles me font mal. Il est vingt heures quand j'arrive chez moi— chez nous. Hector est assis sur le canapé avec Athena, Roman et Styx. Je leur dis bonjour doucement avant d'aller me doucher. Je veux effacer son odeur, son parfum, ses mains. Des bleus me recouvrent, des marques de ses dents, des suçons. Je les cache sous un hoodie épais, je mets un jogging large, je cache son t-shirt the Cure dans mes affaires, là où jamais Hector n'irait regarder. J'ai la gorge serrée, le coeur émietté. Je ferme les yeux, je ne veux pas voir mon reflet. Puis je vais m'effondrer dans notre lit. Mon corps est rincé, éreinté, éprouvé par les mains brutales de mon monstre préféré. Je me dégoute tant que je me remets à pleurer.


Quand il vient se coucher, une fois que les autres soient partis, je sais qu'il sent la différence dans mes larmes. Elles ne proviennent pas du même dégout, et il le sait. Mais il ne sait pas ce qui a changé, et je ne peux pas lui dire, je ne veux pas le briser, je dois me débrouiller pour que cette horreur se termine, pour que je réussisse à comprendre ce tumulte intérieur. Juillet, juste Juillet, après Hector ne travaillera plus et tout redeviendra comme avant, plus qu'un mois sans le voir, après tout ira bien, après mon corps arrêtera de devenir fou et je réussirais à m'extirper de cet enfer.

A man takes his sadness and throws it away, but then he's still left with his hands.


( Richard Siken: italique)

AchilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant