" Est-ce-que tu m'aimerais aussi si j'étais une fille?"

" Est-ce que c'est le même genre de question que si je t'aimais si tu étais une chenille?"

" Répond à la question, ducon."

" Je pense que oui."

" Mais tu es gay."

" T'es mon Achille. Mon orientation, on s'en fout. Je t'aime toi, de toute mon âme, de tout mon coeur. Si tu avais un corps différent, un aspect différent, des hormones différentes, cela ne changerait pas."

" Tu m'aimerais aussi si j'étais une chenille?"

" Ta bouche, Achille."

Le soleil blanc d'hiver brille dans le ciel. Nous sommes assis dans le parc des Buttes-Chaumont, adossés contre un arbre. Il fait froid. Sa main est posée lestement dans la mienne. L'herbe est presque gelée sous nos fesses. A coté de lui est posé un exemple du Chant d'Achille de Madeline Miller.

" Tu serais prêt à mourir pour moi, Hector?"

Son regard gris semble perdu dans le vide quand il me répond.

" Sans aucuns doute."

" Pourquoi?"

"Parce que je ne veux pas vivre dans un monde où tu n'es pas."

" Mais je suis juste ton voisin chiant."

" Tu n'es plus ça depuis longtemps. Je ne sais pas quand tu es devenu mon Achille, mais tu es mon Achille, et si je te perds je me perds aussi."

Il gratte d'un doigt absent les flocons posés sur l'herbe. Il porte du jaune aujourd'hui. Ses cheveux sont attachés dans une épaisse queue de cheval. Il a une barbe de trois-quatre jours, délicieusement rousse.

" Mais je suis tout cassé."

" T'es pas cassé. T'es un peu fissuré, certes, mais ne le sommes-nous tous pas un peu? J'ai même pas de parents à te faire rencontrer."

Hector sourit.

" Achille, tous tes doutes, tu as le droit de les partager avec moi. Tu as le droit de les exprimer. Tu as même le droit de les crier, si ça te fais du bien. Mais tu dois savoir qu'ils ne seront jamais fondés."

" Je sais ça. Mais pourtant je ne fais pas confiance à mon savoir."

" C'est parce que tu sais que si tu commences à te faire confiance tu vas être obligé d'apprendre à t'aimer."

Le parc est presque vide. Des grand-mères marchent avec leurs chiens, quelques couples épars se tiennent la main. Nous sommes en fin décembre, il fait froid, très froid, et plus personne ne pointe son nez dehors.

" Je suis fou amoureux de toi. Je me réveille, je respire toi, je mange toi, je bois toi, je marche toi, je lis toi, j'apprends toi, je travaille toi. Tu es partout, tu es tout mon univers."

" Mais si je suis ton univers, tu vas finir par en avoir marre de moi."

" Non. Notre amour va grandir, va mûrir, notre amour va devenir adulte, et je pourrais vivre sans te respirer tout en continuant de t'aimer et de grandir avec toi."

" Ça me fait peur."

" Je sais. Mais on peut faire face à cette peur ensemble. "

Du bout des lèvres, je déposais un baiser glacé sur son front.

" Je t'aime."

" Moi aussi."

AchilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant