12 avril.

Persephone est de retour sur terre, pieds nus dans un champs de fleurs écloses au rythme de ses respirations humaines. Le soleil glisse sur sa peau, douce caresse d'Hélios, teinte ses joues d'un rose délicat. Ses cheveux, longs, tissés dans une tresse fleurie, roule comme le Styx dans son dos svelte et doré comme les brioches de Demeter. La végétation pousse dans le creux que laisse ses pas dans les champs. Floraison accrue par le bonheur de ses traits, son sourire invite le monde à s'étirer, mille couleurs emplies de gaieté. Un narcisse repose sur son oreille, comme le pinceau d'un peintre leste.

Le printemps pointe le bout de son nez. Il fait beau, un été timide caché entre les nuages rosés.

C'est l'anniversaire de Nike. Je ris doucement face à mes connaissances. Dans la mythologie grecque, Niké est la fille du titan Pallas et de Styx. Elle représente la victoire, soeur de la puissance, de l'ardeur et de la force. Comme son homonyme déifié, Nike est ailée. Elle vole à travers les problèmes de la vie, elle fait face à la douleur avec un grand sourire. Elle est forte, pleine de courage, victorieuse. Elle a survécu au rejet de sa famille, au rejet de la société, et elle s'est relevée toujours plus forte, toujours plus courageuse. C'était sa destinée de rencontrer Athena: dans la légende, Nike et Athena créèrent une lignée pure ensemble, enfantant ainsi Pallas.

Tel Hades, je reste dans les ombres, observant avec un coeur mou le printemps qui se dessine devant moi. L'odeur âpre du pollen et les fleurs qui se dégrisent me grisent le sang et me crispent. Mon teint grisâtre ne se marie pas bien avec la douce teinte des lys. Les préparatifs de la fête avancent. Guirlandes de fleurs, cocktails colorés, paillettes, je regarde un printemps artificiel envahir le cocon d'Hector. Je vois les fleurs comme des ronces, je vois les couleurs comme des lances, je sens la fantomatique angoisse étrangler ma respiration, me tordre les boyaux. J'ai peur. Peur du changement, peur des abeilles, peur des oiseaux qui chantent, peur du bonheur qui apparait sans que je ne puisse dire de même. Peur de voir le monde évoluer sans moi, peur de voir le monde m'abandonner. Persephone me rit au nez, son teint vire au rouge écarlate, ou est-ce le mien qui s'apparente maintenant à une tomate? Pourtant mon teint reste cadavérique, pourtant ma peau reste translucide, j'ai l'air mort, je le suis peut être.

Il y a du monde que je ne connais pas. Des jeunes, des moins jeunes, des gens du Refuge, des gens du lycée, des gens de la fac, un ou deux cousins avec qui Nike avait repris contact. Des gens qu'elle aime, des gens qu'elle souhaite voir, des gens qui emplissent son coeur comme mille partie d'un puzzle.

Je l'observe de loin. Elle est arrivée, elle a feint la surprise, elle a rit, elle a pleuré. Elle parle à présent avec toutes ses personnes qu'elle semble connaître parfaitement, parlant café, parlant bière, parlant cours, parlant boulot. J'ai une légère envie de vomir, de quitter l'appartement, de courir, vite, vite, vite, toujours plus vite, mais je dois apprendre à arrêter de m'enfuir. J'ai peur. Peur du changement, je le sais, j'ai déjà peur de la routine, j'ai peur de tout, je suis perpétuellement angoissé, je ne sais pas être heureux sans tenter de voir une fin, un cataclysme que je trouve inéluctable, je ne sais pas apprécier, je suis en attente, devant le téléphone, attendre que les Parques m'appellent pour tout me dévoiler. Quand vais-je mourir? Quand va mourir mon bonheur? Quand va mourir mon Patrocle? Aidez-moi, aidez-moi, j'en ai marre.

Nike sourit tant que ses joues menacent de tomber de son visage. De simplement se détacher.

Hector discute avec des amis du lycée. Il est en pleine discussion animée sur le football, sur le harcèlement qu'il a subit, j'entends la douleur derrière ses blagues et j'ai envie de l'envelopper dans mes bras mais je n'ose pas. Je suis dans mon coin, arme au poing— coupe de vin blanc trop remplie, est ce que j'ai l'air d'un alcoolique, d'un angoissé, d'un humain enragé, est ce qu'on devine ma peur, est ce qu'on remarque que je tremble, est ce que j'ai l'air assez humain? Trop monstrueux? Pas assez? Est ce qu'on voit mon talon, est ce que je suis vulnérable, est ce que je vais m'effondrer, bientôt, peut être, pas du tout?— prêt à faire face au monde. Le monde. Le monde si fleuri que j'étouffe, pollen coincé dans ma trachée, poumons emplis du parfum inhumain des fleurs. Ces putain de fleurs.

AchilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant