TW: Ce chapitre contient des mentions de sujets qui peuvent heurter le lecteur tels que la mention brève du suicide, la paranoia. Bonne lecture.

Il est parti.

Je ne sais pas quand. Je me suis réveillé, en sueurs. J'avais froid. Je savais— je savais. Je savais que quelque chose clochait. Alors je me suis levé. Il n'était pas dans le lit, il n'était pas prêt de moi. Il faisait froid. J'avais froid. Je grelottais. Où était-il, putain, pourquoi n'était-il pas dans le lit avec moi?

Je ne voulais pas paniquer pour rien. Alors je suis allé à la salle de bain. Il n'était pas là. Toutes les lumières étaient éteintes. J'avais l'impression de me balader dans une maison abandonnée. A tout moment, un policier me dirait de sortir de la propriété, me disant qu'elle était inhabitée depuis des années et que je n'avais rien à foutre ici. J'entendais les fantômes de mon bonheur rire et ricaner dans les recoins de l'appart'. Je grelottais.

Tremblant, j'ai inspecté tout l'appart'. Tous les recoins, toutes les corniches, tous les endroits où aucun humain ne pouvait se cacher, tous les endroits que j'inspectais quand même, comme si Thomas avait des pouvoirs magiques, comme s'il pouvait se cacher dans un endroit pareil. Il s'était volatilisé.

La fenêtre du salon était ouverte. Le vent frais d'automne entrait avec amertume, presque ennuyé.

Il est parti. Cinq heures que j'attends son retour sur le canapé, quatre heures que le soleil s'est levé, trois heures que je sais qu'il ne reviendra plus. Deux heures que je pleure à même le sol, les os creux, le coeur en miettes. Une heure que je suis vide.

J'attends, comme un putain de chien battu, près de la porte, j'attends qu'il vienne, qu'il me pousse contre la table et qu'il me touche et que je sache qu'il est là, qu'il ne part pas.
Je ne sais pas pourquoi j'attends. Je ne sais pas pourquoi je m'évertue à croire qu'il ne va pas m'abandonner.

Il ne répond ni à mes appels, ni à mes textos. Je pleure, minable, encore et toujours, des larmes grosses comme Paris viennent polluer ma peau enneigée. Je suis disloqué, recroquevillé sur le sol, roulé en boule, mes côtes me lancent et je lance des appels à l'aide vers un Dieu qui ne m'écoute pas. Putain, t'es où, qu'est ce que tu fais, pourquoi t'es parti? Putain reviens, je ne peux pas continuer sans toi! Putain qu'est-ce-que tu fous, à me faire me sentir si bien juste pour mieux me relâcher, me faire retomber... Putain, je te hais, je te hais, je t'haine, je t'aime! Putain! Putain! Putain! Putain! Thomas, reviens!


Sombre. Soleil effacé. Les marées montent, montent, montent, sans jamais s'arrêter. J'ai froid, puis chaud, trop chaud. Les flammes rougeâtres des Enfers me bouffent les doigts de pieds, elles me lèchent les os, elles me crament, me brûlent, m'annihilent. Je crie. Je hurle. Je meurs.


La porte s'ouvre. La pluie bat dans son dos. L'eau coule sur son front. Il a les yeux rouges, rouges éclatés, rouge-enfumés.

" Je suis désolé."

" Qu'est ce que t'as fait?"

" Fred m'a appelé. Il avait besoin de quelqu'un."

" Qu'est ce que t'as fait, Thomas?"

" Il était seul. Il hurlait. Il pleurait. Il avait mal."

" Thomas..."

" Je n'ai rien fait."

" Tom..."

" Il a tenté d'attenter à ses jours."

" Quoi?"

" Alors je suis allé l'aider. Je l'ai emmené à l'hôpital. Il est entre de bonnes mains."

" Tu pouvais pas me répondre?"

" J'étais un peu préoccupé, Achille. Je suis vraiment désolé."

Il regarde l'appartement. Que j'ai saccagé, que j'ai retourné. On y voit mon âme noire comme le pétrole qui coule entre les lattes.

" Bordel..."

Il me regarde à présent. Je vois dans ses yeux le reflet du monstre que je suis. J'ai envie de mourir.

" Qu'est ce que t'as foutu, Achille?"

J'ai envie de me justifier, de lui expliquer, de lui expliquer la mort, la douleur, l'horreur, le sang, les os, la peur, la pluie, les sens qui m'ont obnubilé, la mort, l'horreur... Je tourne en boucle comme un putain de vinyl cassé, j'ai envie de hurler, hurler, hurler...

" Hein? Putain! Je peux pas te laisser cinq secondes sans que tu pètes un câble!"

Il a les mains dans ses cheveux, puis sur mes épaules, il me secoue et je me laisse faire, je suis une putain de feuille morte, je ne réagis pas ou à peine, je cligne des yeux, bêtement, bêtement, je me sens comme un enfant qu'on engueule.

" Dis quelque chose, putain!"

Ses yeux brillent d'un éclat de colère que je leur connais trop bien.

" J'essaye, j'essaye de te comprendre, d'être patient, j'essaye, parce que je t'aime, je t'aime très fort, mais tu es fou, tu as un problème, je ne sais pas ce que c'est ton putain de problème mais tu es un puits sans fonds de malheur et je ne sais pas comment te gérer, tu es ingérable, putain, Achille, dis quelque chose, défend toi, arrête de passer pour un putain d'imbécile, PUTAIN, Achille, aller, dis quelque chose... Achille, Achille, mon amour, s'il te plait..."

Je suis au sol. Je ne sais pas quand j'ai atterri par terre mais je suis au sol, à ses pieds, je tremble, je tremble comme une feuille, je suis en train de m'éventrer, de mourir, je crois, je sais pas, je suis plus rien, je ne comprends plus rien.

Il est assis devant moi, les larmes aux yeux. Il me paraît alors tout petit, minuscule, une brindille, presque, presque une brindille ( si je te tiens assez fort tu te casseras entre mes doigts, si tu me serres assez fort je me briserai pour toi, ensemble assurons-nous notre destruction, encore, comme la forêt et le vent et la vie et la mort)

" Je suis désolé, je suis désolé, je me suis énervé, j'aurais pas dû, je suis désolé..."

Il se balance d'avant en arrière, il a l'air à côté de la plaque avec ses cheveux trempés et ses yeux mouillés et son corps grelottant, comme le mien.

" Je t'aime." je dis, doucement, un peu comme un pardon " Je t'aime, et j'espère que c'est assez."

AchilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant