Ses doigts effleuraient ma nuque, ses lèvres se reposaient contre mon front. Je fermais les yeux, appréciant la douce chaleur de son corps. Nous étions seuls, dans son lit, à l'abris des regards. Ils étaient partis il y a quelques heures, après une fête d'anniversaire réussie.
La fatigue envahissait mon corps comme un virus, dépliant ses pattes d'araignées lentement. Hector me tenait contre lui, respirant doucement.
" Je t'aime."
Je fondis contre lui, laissant la fatigue prendre possession de mon corps, la laissant détruire toutes barrières, la laissant amollir mes muscles, mes os, rendant mon corps aussi mou que celui d'un mollusque. Les mains d'Hector m'enrobaient, m'emballaient, me tenaient comme s'il avait peur que je me brise. Dans ses mains j'étais fragile, minuscule.
Je ne saurais décrire ce que je ressentais sous ses doigts. Cette ébullition qui montait en moi, menaçant de me faire exploser, ce feu, rampant, rougeoyant, délicieusement douloureux qui me happait de l'intérieur, qui m'avalait comme un gouffre infini, qui recrachait, crachotait des flammes langoureusement noires, qui me faisait brûler, flamber. Cette chaleur envahissante, dangereusement rubis, qui m'agrippait de ses griffes chatoyantes. Le feu ne s'arrêterait jamais, il continuerait d'avancer, de me devancer, de me faire couler dans la lave des Enfers. Je ne pouvais placer les mots sur ce que je ressentais, mais je pouvais le voir. En fermant les yeux, je voyais l'électricité courir dans mes veines, brûlant tout sur son passage. Je voyais les flammes, je voyais le crépuscule dérangé par l'incendie qui se propageait au rythme disproportionné de mon coeur. Je voyais le parcours du feu, je voyais le monde qui s'éventrait, terre carbonisée, qui laissait entrevoir le centre de l'univers, le coeur-étoile de la planète, qui laissait entrevoir mon coeur calciné.
L'embrasser me guérissait de tous les maux de la planète.
Je pourrais l'embrasser jusqu'à ce que mon corps finisse de brûler, jusqu'à ce que je devienne cendres.
" Je suis désolé."
" Pourquoi es-tu désolé, Achille?"
" Je suis tout cassé. Enervé. Toujours un peu fracassé. Timbré."
" T'es mon Achille."
" Mais est-ce-que ça suffit, d'être 'ton Achille'? N'as-tu pas besoin de plus?"
" Que pourrais-je vouloir de plus?"
" Plus stable. Plus heureux. Plus..."
" Je ne veux pas plus. Je ne veux pas moins. Tu me suffis, tu me suffis largement, tu es parfait."
" Je ne suis pas parfait. La perfection n'existe pas."
" Si seulement tu voyais comment le monde te voit, Achille. Tu es merveilleux. Tu hypnotises tout le monde. Je ne connais pas une seule personne qui n'est pas d'une manière ou d'une autre follement amoureuse de toi."
" Qu'est ce que tu racontes?"
" Tu es aimable. Tout chez toi appelle à l'affection, à l'amour. Platonique ou romantique, d'ailleurs. On ne peut pas te connaître sans t'aimer."
Ses doigts dessinaient des cercles sur ma peau.
" Je pourrais écrire mille et un poèmes sur l'amour que je ressens en moi quand je te regarde. Ta peau dorée, tes cheveux ébouriffés, ton sourire mélancoliquement amer, à la fois railleur et doux, tes yeux-billes, ronds et pleins d'étincelles, ta bouche-coeur, tes lèvres vermeilles comme des cerises, violettes, roses, bleues, tes cils dorés, qui cachent derrière eux mille secrets, ton corps maigrement tien, aux muscles dessinés, bien que tu t'obstines à te percevoir comme un squelette, tes vêtements trop grands, trop distendus, ton rire convulsif, irrésistible de par le bonheur qui transparait derrière ce son presque musical, ta joie férocement tienne, indicible, comme ta tristesse, tous ces mots que tu ne saurais prononcer, ces mots qui restent perchés sur tes lèvres, prêts à tomber, comme des cailloux que tiens le petit Poucet. Tu ne saurais parler de toutes ces choses qui te bouffent, toutes ces choses qui te hantent. Mais de temps à autre tu vomis tous les mots qui restaient aux travers de ta gorge, et tu révèles un pan de ton âme avec la même peur inébranlable. Tu es une oeuvre d'art, Achille, tu es une oeuvre d'art parfaite dans ton imperfection. Chaque détail te rend plus magnifique, plus incroyable. Aucun artiste n'aurait pu t'inventer sans te rater."
Hector sourit.
" Tu es comme un vampire. Tout chez toi est fait pour attirer, pour piéger. Pour rendre addict. Tu es mon héroïne. Je ne peux te reposer, je ne peux te délaisser."
Sa main effleura ma peau avec la lenteur délibérée d'un au-revoir. Pourtant c'était juste de la fatigue, juste la lenteur d'un corps en manque de sommeil. La peur obscurcissait mes sens.
" Je ne sais pas ce que j'ai fait pour te mériter."
" Les humains n'ont pas besoin de mériter quoi que ce soit. Le bonheur ne se mérite pas. Il se vit. C'est tout."
" T'es le plus beau poète de tous les temps."
" J'écris juste des mots."
" Tu les parle, aussi."
" Des mots. Il n'y a rien de bien magique chez les mots."
" Et tu dessines."
" J'aime bien purger mes pensées."
" Un artiste. Mon copain est un artiste incroyable."
" Je suis juste un idiot avec un crayon."
" Tu es loin d'être un idiot, Hector."
" J'aime bien quand tu dis mon prénom."
" Hector, Hector, Hector."
" T'es con."
" T'es beau."
" Je t'aime."
" Moi non plus."
Il rit.
" Tu crois que dans un autre univers, on est ennemi?"
" Je crois que dans un autre univers j'ai traîné ton corps derrière mon char."
" Je pense pas que je serais cet Hector là, dans un autre univers. Ça me correspond pas."
" Non. Tu as raison. Tu serais Patrocle."
" C'est pire, non?"
" Tu aurais été mien. Depuis toujours. On aurait grandi ensemble."
" Mes parents m'auraient quand même rejetés."
" Tes parents sont des merdes."
" Je sais."
" J'aurais pu t'embrasser avant tous les autres. Tu aurais été mien, seulement mien."
" Je t'aime."
" Va dormir."
" Dis moi que tu m'aimes, d'abord."
" Je t'aime."
" Allez."
" Je t'aime."
" Encore."
" Je t'aime."
" J'te saoule?"
" Jamais."
" Alors dis le encore. Encore et encore, encore et encore."
" Je t'aime, je t'aime, je t'aime."
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Achille
RomanceIcare brûle, Icare s'enflamme, mais le soleil l'acclame. Icare aime le soleil d'un amour éternel