We carve up the world all the time. R. Siken

Il est assis face à moi dans un café. J'ai l'impression d'être Icare à nouveau, assis à même le soleil, le feu brûlant ma peau. Il a un petit sourire, le sourire brûlant et vif et beau comme l'amour que j'admirais tant. Il a toujours sa belle tignasse bronze, ses sourcils orangée, ses yeux gris comme la Seine. Le café fume devant nous, comme la cigarette perchée entre mes lèvres affamées.

" Salut."

Il ne me regarde pas. Je ne me souvenais pas de ce que ça faisait d'être haï par le soleil, délaissé dans une ombre humide et gelée comme la glace des Arctiques. Mes doigts sont frigorifiés, pourtant Aout bat encore comme un coeur gonflé de sang chaud.

" Salut. Merci d'être venu."

Je sais qu'il ne voulait pas venir. Il ne voulait pas me voir. Moi qui lui déclamait mon amour avec passion, qui lui écrivait poèmes sur poèmes, moi qui lui hurlait mon amour tortueux, tout ça pour le briser, le trahir avec celui qui m'avait moi-même casser. Je comprends sa haine, je comprends son dégout, je le ressens toujours autant pour moi même. Je suis le anti-héros. Peut être que tout ce temps c'était lui le héros, lui le glorieux qui allait renverser le coeur de l'auditoire, lui que les gens aiment de toute leur âme, de tout leur coeur rabougri de citadins aigris.

" Pourquoi tu voulais me voir, Achille?"

Nous sommes dans un café près de son lieu de travail. Il n'a pas pris de congé, finalement, je pense qu'il n'a nul part où partir, pas de plages à visiter, pas maintenant que j'ai rompu ses rêves du parfait été.

" Tu me manquais."

" Que pense Thomas de cette rencontre? Lui aussi va-t-il te demander encore et encore d'arrêter de voir ton ex, comme je te le demandais?"

Ses mots piquent mais sont justes, alors je serre les dents et j'encaisse.

" Touché."

Il prend une gorgée de son café.

" Désolé. C'était un peu mesquin" il repose sa tasse, le regard perdu dans le vide " je suppose que je suis jaloux, voilà tout. Moi, ton soleil, ton Patrocle, remplacé par quelqu'un que tu disais détester. Cela m'a fait mal."

Je me crispe, expirant lourdement. Je tire sur ma cigarette une dernière fois avant de l'écraser dans le cendrier, mes doigts se brulant légèrement.

" C'est de ma faute. Je suis désolé. Tout était tellement confus. Je suis tellement confus."

" Je t'avais dit un jour que mon amour pour toi était aussi grad que le nombre d'étoiles dans le ciel. Mais c'est faux. Il était rouge et dévastateur comme la lave d'un volcan. Tu m'avais demandé combien d'étoiles il y avait dans le ciel. J'avais vu dans tes mots une question, une demande sur la durabilité, la faillibilité de mon amour. Tu ne me croyais jamais, tu pensais toujours que je disparaitrais, que je t'abandonnerai. Je t'avais répondu qu'il y en avait assez pour que je brûle pour toi jusqu'à ma mort."

" Tu penses toujours cela?"

" Je brûle, constamment. Je suis en enfer."

Les cendres volent autour de moi comme une accusation.

Je sais que je change, je le sens comme un crépitement si lent qu'on peine à 'entendre. Je sais que je me transforme, créature réveillée d'une longue apnée, sel perlant au bord de son nez.

T'es beau, Nounours de l'été, tu portes un pull gris comme tes yeux-Seine-scène de ton désespoir, si épais que tu deviens ours polaire. Rouge et or, ta crinière cascade sur tes épaules larges comme la vie. Ton sourire est si fin qu'il craque les glaciers. Je ne sais pas quand on a arrêté de se dire bonjour avec nos bras au lieu de nos bouches. Bel héros transfiguré.

AchilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant