Le monde s'effrite au rythme du battement d'un tambour que je ne vois pas. C'est une mélodie frauduleuse, fallacieuse, qui tente de mettre l'ambiance dans un monde qui ne peut pas l'être: ambiant voudrait dire mouvement, ambiant voudrait dire vivant, ambiant voudrait dire éviter ce mort-vivant, cette mort dans l'âme qui représentait si bien l'intérieur de ma coquille-d'oeuf. Ainsi le monde s'effrite, se décompose, cadavre dévergondé. Ainsi le monde se mue en une sorte de masse amorphe répugnante, à l'odeur forte de mort. Le monde est nauséabond. Est-ce parce que je suis mis nez à nez avec la nouvelle femme de l'homme qui avait été censé être l'amour de ma vie? Elle était une femme un peu rabougrie, aux yeux éponymes et à la bouche polysémique. Elle était à la fois intéressante et fascinante.
Thomas l'avait bien choisie.
Sa peau hâlée par des vacances perpétuelles et sa chevelure blé lui donnait l'aspect d'une blondasse fadasse, mais je ne voulais pas la jalousie me rendre misogyne.
« T'as toujours aimé la beauté éphémère » je murmurai alors, comme si ça changeait quoi que ce soit.
« J'aime le réel. »
Il voulait se peindre comme un réaliste, un naturalisme, un scientifique avis du vrai et de son intrinsèque vérité. Il n'était pas cela. Il n'était même pas un romantique. Il ne connaissait pas l'épanchement de soi, l'éparpillement de ses sentiments, l'embellissement presque compulsif de la vie afin de la rendre poétique, la dramatisation du réel, le saugrenu, le moche rendu suprêmement intense. Il ne connaissait que le pragmatique, le je t'aime-moi-non-plus rendu prosaïque et ennuyeux, presque péché. Il n'était pas un artiste, malgré sa pretension à se prétendre d'âme artistique. Il n'était pas un Sorel, il n'aimait pas comme Frédéric, il n'était qu'un banal étudiant qui aimait avec haine et et qui hainait avec aime.
« Elle est réelle, alors? »
« Parfaitement réelle. »
« Et Freddie? »
« Illusion d'optique. »
Je posai enfin la question interdite:
« Et moi? »
Il rit, doucement, un rire mesquin dans sa lenteur, dans sa délibération. Ses yeux-or me percent, ses lèvres s'étirent sur son visage de marbre fendu.
« Toi, tu es aussi réel qu'une œuvre d'art. Un peu éphémère, mais a jamais gravé dans le temps. T'es ma définition même du réel. »
Mon coeur remonte dans ma gorge.
« Je ne prétends pas avoir trouver l'amour de ma vie. Mais... J'ai trouvé une part de réel. Et toi, ton copain? »
« Il est paradis et enfers. »
« Je vois. »
« Je l'aime. »
« Qui essayes-tu de convaincre? »
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Achille
RomanceIcare brûle, Icare s'enflamme, mais le soleil l'acclame. Icare aime le soleil d'un amour éternel