Rues vides de Paris. Nuit noire. Pluie de météorites mais les météores étaient nos rires. Mains, jambes, on courre, il pleut, j'ai froid, j'ai chaud.

Son corps contre le mien, mon dos contre un mur, ma respiration qui forme des volutes de poésie érotique dans l'air sombre d'un Paris assoupi. Sa bouche collée sur ma peau, nos âmes emmêlées, sa jambe entre les miennes, ses doigts lovés contre mon coeur, mon âme, mon être.

Emmêlés comme deux cadavres dans les draps du lit de sa chambre d'hôtel— comme si dormir dans un lieu inconnu retirerait nos volumes d'histoire, comme si cela effaçait le fait que mes doigts, ma langue connaissaient chaque recoins de son corps. Comme si ignorer nos erreurs seraient un tant soit peu efficace.

Il m'a démêler sur des draps blancs qui contrastaient avec l'impureté de nos âmes. J'ai crié comme pour me vider de mes péchés.


Thomas était assis au bout du lit à mon réveil, le dos brillant de sueur. J'avais froid, la couverture était relevée, ma peau était à l'air, comme mon âme. Je me sentais minuscule, dénudé, mon âme mise à nue, posée sur une assiette pour qu'il la dévore. Il était plus musclé qu'avant, maintenant à la lumière je pouvais le remarquer, ses cheveux étaient longs, un peu à la Tarzan, il était plus homme, plus grand. Son évolution était si choquante que j'avais l'impression de voir un bambou pousser de douze mètres sans prévenir.

«  Il est l'heure. »

J'ai l'impression de sentir mon âme mourir au fond de moi, croupir comme les eaux répugnantes de la Seine.

«  Pourquoi tu peux pas m'aimer un peu plus longtemps? »

«  Je t'aime. C'est pas ça le problème . »

Toujours des excuses, toujours plus, toujours de l'évasion, du Dédale qui rit et pleure, de la pluie de merde qui vient ternir mes rues ensoleillées.

" J'te déteste parfois."

" Je sais, Achille. Mais c'est pour la bonne cause."

" Tu t'es pris pour Edward Cullen? Aime moi si tu peux? ' Je suis pas bon pour toi', ' ne m'aimes pas, je te détruirai'? T'es une sombre—"

" — merde, oui je sais. Merci du rappel, Achille."

" T'étais censé être mon Patrocle."

" Et je le suis plus, c'est ça?"

" Et tu l'es toujours, alors que tu ne le mérites pas."


Mille et un mots qui s'entrechoquent sur le champ de bataille. Des coeurs qui s'effritent, du sang qui se verse, dans l'herbe si nuageuse qu'elle devient vaporeuse. Je ne suis plus rien, rien qu'un flottement humanoïde perpétuel. Qui suis-je, où suis-je, qui aime-je?

Ses mains sur ma peau, ses lèvres, agressives, toujours brutales, qui attaquent ma chair. Son corps contre le mien, qui m'emmène au cosmos et qui me fait ressentir l'osmose. Je ne suis que pollen et il est abeille, il me butine. Nos soupirs qui s'élèvent comme des symphonies entre les quatre murs de sa chambre empruntée. Nos cris, nos voix qui deviennent un chant presque religieux. Ses mains, toujours ses mains, ses doigts rugueux par des années de guitare, qui glissent sur mes cuisses, entre elles, qui me font brûler comme les bois en été. Mon bassin qui se soulève, mon dos qui se cambre, mon coeur qui éclôt. Son corps, son corps, son coeur au bord de ses lèvres cerises. Je croque, je mords, je m'enflamme contre son fruit. Nous. Nous. Toujours nous, c'est toujours nous. Mon Patrocle. Les larmes salées—sucrées— amères qui glissent sur mes joues, qu'il lèche, qu'il renie. Ses mains, encore ses mains, toujours ses mains, mon coeur qui se gonfle tant qu'il explose, en mille et un pétales rosés.

Ses draps sont teintés de moi.

Je suis teinté de lui.


" Tu dors?"

Ses doigts remontent jusqu'à le creux de mon cou. Il compte les battements de mon coeur, je l'entends chuchoter.

" Achille?"

Silence. Il attend. Ses doigts glissent dans mes cheveux, les tirent doucement. Je l'entends soupirer, je l'entends se défaire.

" Putain."

Sa respiration est lourde. J'entends presque son coeur battre à l'orée de mon âme.

" Je t'aime. Je t'aime tant, mon Achille. J'aimerai tant me sentir de taille pour toi, pour t'aider à affronter tes démons, mais les miens me bouffent la chair, les miens me bouffent les entrailles, et j'ai si peur."

Il s'arrête. Je l'entends prendre une grande inspiration.

" J'ai peur d'être pas assez, mais j'ai aussi peur d'être trop. Si je me laisse t'aimer jusqu'aux limites de ma capacité, j'ai peur que tu t'y noies. J'ai peur que tu n'aimes plus mon caractère de cochon, j'ai peur de redevenir celui que tu détestes. J'ai peur de te faire mal, j'ai peur d'être trop absent, j'ai peur d'être jamais à la hauteur, j'ai peur de tout niquer, de tout bouleverser. J'ai peur de te briser, j'ai peur de te déconstruire, toi qui tiens enfin debout, parfois, pas assez. J'ai peur de tout chambouler, j'ai peur que tu dépendes de moi, alors que je ne peux même pas me gérer moi. J'ai peur de te perdre, j'ai peur de t'avoir, j'ai peur."

Je sens ses doigts plongés dans ma chevelure.

" J'ai peur que tu arrêtes de m'aimer, que tu te réveilles un jour et que la Belle ait enfin fini d'aimer la Bête. J'ai peur que tu te rendes compte de mon indécence, de mon incompétence. J'ai peur que ma toxicité finisse par effacer l'amour pur et brûlant que tu éprouves— éprouvais, pardon, éprouvais pour moi. Tu es si paisible quand tu dors. Tes sourcils sont froncés, on dirait un beau petit gamin. J'ai envie de te bouffer le nez."

Il est tout près de moi maintenant. Je sens sa respiration contre ma joue.

" Je t'aime, Achille, et je pourrai jamais me pardonner si je fais quoi que se soit de mauvais."

Il rit aigrement.

" Et je l'ai déjà fait, à maintes reprises, et je ne me le pardonne pas. Je ne sais pas comment vivre avec. J'ai pensé à mourir, à tuer le monstre. J'ai pensé à me débarrasser de moi même. Je me suis dit que ça réglerait le problème, de manière efficace. Si on coupe la fleur pourrie à sa racine, elle ne pourra plus importuner le monde. Si on lui arrache ses racines, bien ancrées dans la terre brunâtre. Je ne sais pas comment vivre avec les horreurs que je t'ai fait. Je ne sais pas comment te regarder quand je sais à quel point je t'ai fait souffrir. Combien je te fais encore souffrir. Je suis une sombre merde, Achille, je ne fais que te faire mal, encore et encore, je ne m'arrête pas, je suis incorrigible, c'est terrible, je me hais, je ne fais que me haïr, je ne sais pas comment faire pour me voir comme tu semblais me voir, pendant un court instant, quand j'ai eu le privilège d'être le centre de ton attention, quand pendant un bref moment tu m'as aimé avec une pureté presque dorée, quand j'ai enfin pu être le tien, le tien comme je le souhaitais."

Sa respiration est douce. Je fonds sous son feu.

" Je t'aime, Achille. Je ne veux pas te perdre."

J'ouvre les yeux. Le choc nait sur son visage doré.

" Moi aussi je t'aime, Tom."

AchilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant