Homo erectus. Maître du feu. Maître de la haine. Maître de la fin du monde.

Je ne te maitrise pas. En réalité, je te regarde même avec ces mêmes yeux surpris de l'homme des cavernes qui découvre l'hypnotisante lueur de la flamme, bouche-bée, yeux écarquillés, sourcils soulevés. Tu es une découverte surprenante, tu es Dieu, tu es divin, tu es découverte apocalyptique, tu es Monde, tu es Vie, tu es Tout. Malsaine curiosité, je passe mes doigts sur le feu, doucement, avec la délicatesse brute du brûlé, de l'idiot qui veut découvrir combien de temps sa peau peut supporter la langue rugueuse des flammes.

Oxydoréduction rapide, combustion, libération de fumée bleuâtre, lumière orangée, chaleur grisâtre.

Tu es feu, je suis bois, je m'enflamme, tu gonfles et je souffle, je suis fumée, je m'élève entre les arbres, tu rugis, je déclame, j'ébulitionne, je transitionne vers les airs bleutés.





Hector est assis sur le rebord de mon lit. Son regard fumée trahit une profonde inquiétude. Nous ne sommes que mains et silences, il ne peut formuler cette peur que je lis pourtant, traits précis de crayons, sur son visage constellé. Il m'observe, yeux-soucoupe, yeux-hiboux, yeux-rayons, yeux-tourbillons. Je suis chanson sans musique, je suis chanteur sans voix, je suis poète sans mots, je suis stylo sans encre. Vidé de toute âme, je suis maladivement sain, sainement fou, rageusement calme, calmement surexcité. Je suis oxymoriquement moi, homme-monstre, monstre-homme, ange-démon, silhouette-lumière être-ombre.

Voit-il un monstre quand il me regarde? Peau écaillée, rugueuse, crocs acérés, cornes dépliées, jaunies par mes péchés?

Sa main repose sur mon mollet, délicieusement dorée. Mes pensées s'assainissent, main d'Asclépios. Mes vers se défont au rythme d'une prose dévissée. Ses doigts tracent des sketchs entre mes poils, je suis dénudé, à poil, pourtant entièrement habillé. Son pouvoir ne cesse de m'émerveiller, il me met à nu, Baudelaire d'la cité, il me dévoile comme un peintre habile, dessinateur agile, il est acrobate, coeur entre doigts d'agile, coeur entre doigts fragiles, paumes magnétiques, magnésie couvrant les lignes de sa vie.

Ses mots n'ont pas besoin de franchir ses lèvres pour que je les entende. Je les interprète comme un vaillant linguiste, j'écoute ses peurs, ses angoisses, sans même qu'un son n'échappe de sa bouche rosée. Rouge-gorge, il chante, siffle, roucoule. Nirvana flotte entre nous, entre ses lèvres, mièvre chanson pour boucher les trous qui semblent surgir entre nous, vallées conquises par ses rayons, ensoleillement imminent, canicule annoncée, météorologie amatrice.

J'ai besoin de ses lèvres. Alors, comme pour taire ses peurs, je l'embrasse, doucement, avec la lenteur délibérée d'une promesse.

Promis, Patrocle, je fais attention. Je suis un peu fissuré, mais je ne suis pas entièrement brisé. Promis, Patrocle, mes vers effacés ne sont qu'oeuvre d'un poète perfectionné. Promis, Homère ne t'as pas oublié. Promis, j'haine nos ennemis et j'aime nos amis. Promis, ta poésie attentionnée restera gravée sur mes os, sur ma peau. Promis, je ne t'oublie pas. Je suis là. Ne pars pas.

AchilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant