Et brûlé par l'amour du beau,
Je n'aurai pas l'honneur sublime
De donner mon nom à l'abîme
Qui me servira de tombeau.

Charles Baudelaire, les Fleurs du Mal.

Il fait chaud. Si chaud. La cire coule le long de mon dos, ma peau se calcine, la chair brûle.


Le feu de l'appartement de Thomas s'est fait éteindre par des pompiers. Ils étaient grands, musclés, affolés par mon inertie. J'ai essayé de leur expliquer. Leur expliquer que c'était pour l'art. Leur expliquer que je devais écouter les flammes. Qu'elles me parlaient. Elles chuchotaient. Ils ont mis ça sur le compte du carbone dans mes poumons, de mon teint plus pourpre qu'un tapis rouge, de mes yeux exorbités, de ma sous-nutrition, des bouteilles éclatées autour de moi.

Ils m'ont emmené à l'hôpital. M'ont attaché à des machines, à des choses qui glougloutaient, à des liquides variés. L'air m'a paru purifié. Mon âme s'est élevée. Est-ce-là l'élévation spirituelle? Est-là l'expérience artistique dont j'avais besoin pour continuer?

Allongé sur une couchette, les poumons délavés, le corps mou, la peau rendue translucide par ma lucidité exacerbée, les médocs emplissent mon sang, rabougrissent mon cerveau. Je fonds contre le matelas, je me liquéfie. A côté de moi, Thomas, un pansement sur le nez, une coupure éphémère sous la paupière, sur sa pommette.

Il s'est battu à travers les flammes pour le sauver, quand mon art brûle m'a happé  comme les Enfers, quand les mots ne m'ont sauvé, il m'a attiré vers l'extérieur en hurlant des absurdités, il a crié, il m'a emmené vers l'air acidulé d'un Paris en cendres. Il me regardait, de ses yeux amande-chocolat, de son regard amour-salé, de son cœur écrabouillé, de ses poumons gonflés.

Ses doigts caressent les miens. Mon coeur enfle.

«  Je t'avais demandé de rester, Achille. »

« Icare. » je le corrige. «  Icare. »

« Tu n'as plus besoin de brûler. Le soleil, c'est toi. Ça a toujours été toi. Arrête de le chercher éperdument, je t'en prie. »

Je t'aime. J'ai envie de lui dire cette sensation qui enfle en moi mais je ne sais comment l'articuler. J'ai envie de lui dire le rouge dans les veines et les bulles dans ma tête et le souffle qui me ronge comme une gerbille. J'ai envie de lui hurler les mots, les beaux.

«  Thomas. Mon abîme délicieux. »

Je me souviens de quand nous lisions Baudelaire ensemble, entre deux pauses clopes. Quand, perchés sur ses alexandrins, nous sommes tombés amoureux.

«  Tu es ma fleur du mal préférée. »

Je t'aime. Je t'aime. Ne l'oublie pas.

AchilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant