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" Est ce qu'il te rend heureux, c'est ça la véritable question, Achille."

" Oui. Enfin. Je crois. Je sais pas."

" T'as fait une liste pour et contre?"

Je ris. Ça me parait tellement enfantin, tellement saugrenu comme conseil. Tiens, une liste digne d'un gamin de six ans, pour prendre une décision qui changerait le cours de ma vie. Je ne sais pas si ça me met en colère ou si je trouve cela mignon. Il a toujours eu un coeur d'or, une volonté d'acier, un sourire chérubin et l'âme d'un enfant.

" Non."

" Tu devrais."

" Ah oui, parce que décider d'un mariage avec une liste c'est l'idée du siècle."

" C'est mieux que de ne rien faire, Achille."

Hector sourit. Je ne sais pas comment il fait. Pour ne pas me détester. Pour ne pas me renier. Je crois qu'il est presque— totalement, en réalité, il faut que j'arrête de me leurrer— mon meilleur ami. Il me comprend, il m'écoute, il égaye mes journées. Il est beau, avec sa peau roussie par le soleil, constellée de ses tâches qui autrefois me faisaient rêvasser. Il est beau, avec ses boucles à la Tarzan, longues et d'un brun rougeoyant. Il est beau. Il est brillant, peut être plus qu'avant. Resplendissant.

" Et si j'ai tord?"

" Le divorce ça existe."

" Et si je dis non et que ça nique tout?"

" Il a été compréhensif quand tu lui as demandé du temps, non? Il a compris. Vous avez toujours eu du mal à vous poser, alors même que vous attendiez que ça pour vous sentir en sécurité. Vous êtes un amalgame de paroxysmes, d'oxymores, d'oppositions, vous l'avez toujours été. Pourquoi est-ce-que maintenant vous dérogeriez à cette règle pré-établie?"

" Je sais mais—"

" Tu ne devrais pas autant douter. Pas d'un mec que t'es censé vouloir épouser."

" Ça ne veut rien dire. Je ne suis que doutes. Je suis anxieux. C'est pas avec les doutes que je mesure notre compatibilité. C'est justement avec la force qui me porte à travers ces doutes, avec la force qui me force à comprendre que malgré mes propres peurs il ne partira pas, pas réellement."

" Sauf que lui est déjà parti. Donc c'est pas juste ton anxiété."

" Hector..."

" Oui, désolé. Faut que je parle en tant qu'ami, je sais, je sais. Mais en tant qu'ami, même sans laisser parler ma jalousie, mon amertume, mon désarroi, même en faisant abstraction de la rancune, je ne trouve pas qu'il soit la meilleure chose pour toi."

" Hector tu ne m'aides pas là."

" Je ne t'aide pas?"

" Non."

" Pourtant tu es venu me parler. Donc tu voulais entendre ce que j'avais à dire. Et mon petit doigt me dit que tu savais que je ne serai pas heureux d'entendre cette nouvelle, donc tu savais que j'essaierai de t'en dissuader. Est-ce-que c'est vraiment ça que tu veux? L'épouser? Lui? Je sais que votre relation est intense. Je sais qu'elle te fait brûler, et que tu as l'impression de devoir brûler pour avoir le droit d'aimer. Mais tu sais, tu as le droit à la douceur. Tu as le droit de te poser avec quelqu'un qui, oui, peut être que dans le lit il te fait brûler, que c'est passionné, mais qui dans la vie de tous les jours te fait du bien, t'adoucis la vie, te porte. T'aides. Quand tu es avec lui tes poèmes sont d'une tristesse infinie. Et tu me parles souvent de ton mal-être."

" J'allais mal avec toi aussi, ne le ramène pas à lui, ne le salis pas de la sorte s'il te plaît."

" Il t'a fait du mal en boucle et pourtant tu continues de le défendre."

" Hector—"

" Non, je dis juste les faits. Tu m'as fait du mal aussi, vous vous êtes probablement mutuellement fait du mal, j'en sais rien et honnêtement je ne veux pas savoir. Mais pourquoi est-ce-que tu veux mon avis? Pourquoi est-ce-que tu considères même l'épouser?"

" Parce que je l'aime, bordel. Et que je suis heureux. Je crois. Je crois que je suis enfin heureux."

" Alors qu'est-ce-que tu fous là?"

" J'veux que tu soies heureux—"

" Pour toi?"

" Je—"

" Je peux pas être heureux pour toi. Pas quand t'es avec lui. Tu l'as attendu pendant des mois, et pendant des mois on était ensemble, encore, peut être que charnellement, peut être pas comme je le voulais, mais je t'avais enfin, de nouveau, un peu, et... Et même si je te déteste j'étais heureux parce que je t'aime. Et il est revenu et tu m'as jeté. Encore."

" Hector je suis tellement désolé—"

" Tu es toujours désolé, pourtant tu le refais constamment. Je ne peux pas passer à autre chose. J'ai perdu le compte du temps, je ne sais pas depuis combien de temps ce cycle merdique dure. Mais je m'en fous. Je t'attends encore, je ne peux pas évoluer parce que j'ose espérer que tu vas finir par me choisir moi, moi, celui qui te faisais sourire, rire, pleurer de joie, et pas lui qui te détruit à petit feu."

" Hector—"

" Je sais pas pourquoi tu es venu, Achille. Tu savais que j'allais pas t'encourager. Pas sincèrement. Je n'en ai pas le courage."

J'ai l'impression d'être malsain, monstrueux, un être à éradiquer. Je ne sais pas quoi faire, je ne sais pas comment expliquer le torrent de choses qui se bousculent au fond de ma poitrine.

" Hector s'il te plaît. Tu es la personne la plus gentille, la plus douce, la plus innocente que je connaisse. Je sais que quand je te parle émanera bienveillance et surtout, surtout, vérité. Pas une once de manipulation, pas une once de monstruosité. Cette monstruosité que je fuis chez moi— chez lui— chez nous. Et je sais pas pourquoi je te dis ça. Pourquoi je vomis les mots comme si ça allait changer quoi que se soit, comme si plus vite je parlerai plus vite tu arrêterais de me détester, de m'en vouloir, de me haïr. Tu as tous les droits, je suis ignoble, je reviens comme un cauchemar récurrent et plus tu tentes de me fuir plus je reviens on dirait un boomerang. Attends, écoute, s'il te plait ne pleures pas. Je suis un monstre et c'est pour ça, c'est pour ça que tu ne m'as jamais mérité et que tu n'aurais jamais dû me rencontrer. Et je crois que je te dis tout ce charabia, je crois que je passe mon temps à revenir parce que même si je l'aime, même s'il est tout, s'il est mon monde, mon âme, mon univers, même si je ne peux m'empêcher d'être son chien, sa pute, son être à lui, son punching bag s'il le souhaitait, je t'aime, je t'aime quand même, parce que tu es la meilleure chose qui me soit arrivé, parce que deux poètes ensembles c'est fait pour exploser, et parce que ta douceur d'artiste épanoui m'avait fait poussé des ailes et que mes ailes me manquent, ton âme me manque, ton rire me manque et je suis affreux et je mérite de crever."

Il me prend les mains comme s'il prenait celles de Dieu et c'est là que je sais que je suis nul à en crever, qu'il me perçoit comme un ange alors que je suis le monstre qu'il faut tuer.

AchilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant