Fred et moi étions assis sur le balcon, dehors, sous la lune claire du printemps. Bières en main, nous buvions au rythme de la musique éloignée de la soirée de Nike.

" Je pensais que tu étais le roi des cons. Que tu étais la pire personne au monde. J'avais envie de te tuer. J'y pensais, encore et encore, me disant que tu m'avais volé l'amour de ma vie."

Je ris aigrement.

" J'ai mis du temps à passer à autre chose."

" Il me le disait. D'après lui, tu ne le lâchait pas, tu le harcelais. C'est uniquement quand j'ai lu ses messages sans qu'il ne le sache que je me suis rendu compte que je ne savais rien de vrai sur toi. Tout mon savoir était erroné. Tu n'étais pas le monstre sangsue qu'il avait dépeint."

Fred avale une longue gorgée de bière, avant de se racler la gorge bruyamment.

" Il ment sur beaucoup de choses. Constamment. A travers ses mots, le monde est à la fois infernal et idéal. Il peint le monde avec tant de talent, c'est incroyable, si séduisant qu'on ne se pose plus aucune question. Il a forcément raison, seulement lui. Alors quand il me parlait de toi, je supposais qu'il avait raison sur toi aussi."

Ses yeux amandes se posèrent sur moi.

" Je suis désolé de t'avoir détester, moi aussi. Je ne savais pas qu'il avait un copain, et le temps que je le sache il t'avait quitté. Il était avec moi... Et puis j'étais déjà tellement hypnotisé que je ne pouvais plus partir."

" Tu ne pouvais pas savoir, Fred."

" J'aurais pu demander."

" D'habitude ceux qui flirtent sont célibataires."

" Il était trop beau pour être vrai."

" Il l'est toujours, non? Jusqu'à ce qu'il montre son vrai visage."

" Il l'a montré. Il le montre, maintenant. Maintenant que j'ai la bague au doigt, maintenant que j'ai son nom de famille, je ne peux plus partir et il le sait."

J'avais de la peine pour lui. Ma haine s'était dissipée au gré des verres de bière et de ses mots de vacancier éberlué.

" Il m'a cassé. En mille et un morceaux. Je suis devenu un trou sans fond. Plus monstrueux que jamais. Et il est parti, me laissant récupérer les parties de moi qui jonchaient le sol de mon appartement tout froid."

Je le regardais sans le voir. Devant mes yeux se dessinait le portrait effacé de Thomas, l'être qui avait été mon monde, mon âme, mon coeur. Ses lunettes, son nez aquilin, ses cheveux bien peignés, son col-roulé, sa veste évasée.

" J'ai pas réussi à me guérir, pas avant de rencontrer ce qu'était le bonheur sans la dégoutante teinture assombrie qu'y plaçait Tom. J'ai rencontré le bonheur personnifié, je l'ai haïs, j'ai appris à l'aimer, je m'y suis réfugié. Hector m'a montré ce qu'étais l'amour et la patience. Je ne le mérite pas, je suis quelqu'un de cassé, de rompu, probablement corrompu, j'ai besoin d'apprendre qui je suis, de guérir complètement. Je vois une psy, j'essaie de me faire aider. J'essaie, pour lui, pour moi, pour mériter d'être aimé comme il m'aime."

Fred accula sa tête contre le mur.

" J'aurais préféré ne jamais le rencontrer. Nike l'aimait pas, elle s'est éloignée encore plus quand il est arrivé. Je voulais rien entendre. Et je l'ai épousé. J'ai épousé Barbe Bleue."

" On mérite tellement mieux."








Hector se trémousse sur le dance floor, corps collé contre celui de Nike, visage rougi par l'alcool. Les étoiles maculent son visage, un sourire s'étire sur ses lèvres, le bonheur se dessine sur la neige de sa peau laiteuse. Sa crinière de lion boucle le long de son dos, ses muscles saillent sous son t-shirt blanc, ses bras costauds se dessinent au rythme de ses mouvements. Nike semble minuscule entre ses bras. Une bouffée de chaleur prend possession de ma poitrine et de mes joues. Mon homme est incroyablement séduisant.

Fred attrape ma main, m'entraîne dans la foule d'humains, me presse contre lui, ses bras bronzés enveloppant mon corps minuscule, je suis fourmi et il est géant, ses mains se posent sur mes hanches, guident mes mouvements, il rit aux éclats quand il voit que je me coince, que je me décoince en cliquetant, que ma fluidité de parole n'égale pas la fluidité de mon corps. Je le tape du revers de la main sans y croire. Il n'a pas tord, je suis pas doué. Ses mains remontent dans mon dos. Une chaleur acide parcourt ma peau, je le repousse doucement, préférant danser seul.

Roman danse avec une blonde, qui est vite remplacée par Athena. Athena, ses cheveux longs, ébènes, coursent comme une rivière de charbon dans son dos. Sa robe pourpre enveloppe ses courbes avec douceur, elle devient une cerise à croquer. Il pose ses mains sur ses hanches, je vois d'ici le rose qui colore ses joues, je vois d'ici l'électricité qui courre dans ses veines. Les lèvres de Roman effleurent le cou de la belle et je détourne le regard.

Styx et Farah dansent, corps contre corps, emmêlé.es les un.es aux autres, leurs mains entrelacées.

Bientôt, je sens une main familière dans mon dos, suivi de la douce enveloppe chaleureuse d'une brioche contre moi. Hector. Ses lèvres chatouillent ma joue, mon oreille, sa respiration rauque résonne contre mon cou, ses mains agrippent mes hanches comme de la moelleuse pâte à pain. Il me malaxe, me retient contre lui, m'embrasse délicatement, mordant légèrement ma lèvre inférieure.

" Bonjour, toi."

Ses lèvres ne quittent plus les miennes. Il n'est pas jaloux, il sait que je l'aime, mais je sens à ses mains qu'il n'aime pas que celles de Fred m'aient effleurées, même durant une courte minute. Il sait qui est Fred, il sait que jamais je ne le trahirais de la sorte, pas avec celui qui a bouleversé ma vie— ou quiconque, d'ailleurs. Notre amour n'est pas basé sur des fragilités. Mais la chaleur de ses mains me guérit, la douceur de ses lèvres me remplit le coeur, son nez constellé qui effleure ma peau me fait flamber. Je suis torche humaine, je brûle, le feu émane de moi comme d'une cheminée.

Son amour est incandescent, brûlant, chaleureux, passionné. Il me fait brûler de l'intérieur avec douceur. Le danger est délicieux, je le goûte du bout des lèvres sans jamais pouvoir m'arrêter. Je l'aime, je l'aime de tout mon coeur. Mon coeur prêt à exploser.

Je l'attrape comme si j'avais peur qu'il s'envole, mes mains agrippant son t-shirt, dansant avec lui, ses lèvres agrippant les miennes comme pour répondre à mon appel fiévreux.

Il est beau, sous les lumières tamisées. Son regard gris devient argenté, ses cheveux deviennent bronze fondu, ses tâches de rousseurs deviennent étoiles explosives. Ses mains tiennent les miennes avec douceur. Je l'embrasse à nouveau, doucement cette fois, mollement, avec la délicatesse de l'homme aimé.

" Merci." je chuchote contre sa bouche, lèvres légèrement écartées " Merci d'exister."

Il me tient la main de la même façon qu'il tiendrait mon coeur. Comme s'il avait peur qu'elle se briserait.

Je ne sais pas si ça m'attendrit ou si ça m'énerve.

" Je t'aime, Achille. Mon amour pour toi est aussi grand que le nombre d'étoiles dans le ciel."

" Combien d'étoiles y-a-il dans le ciel?"

" Assez pour que je brûle pour toi jusqu'à ma mort."

AchilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant