L'appartement est vide. Le soleil s'est levé sur un salon retourné. Je n'ai pas besoin de temps pour remarquer que ses affaires se sont volatilisées.
Je lui ai dit non. J'ai osé. C'est une libération que je ne croyais jamais connaître, c'est un renouveau qui semble briser toutes les barrières, qui semblent mettre à sac toutes mes connaissances de la vie, de la mort, de l'amour ( je remarque la sonorité presque identique d'amour et mort et je me dis, soudain, que la mort amoureuse que j'aimais tant avec Thomas était peut être un présage de ma souffrance éternelle dans ses bras).
Non, Patrocle, mon coeur, mon amour, je ne veux pas t'épouser. C'est pas que je ne t'aime pas. Je t'aime à en crever. Je t'aime tellement que des fois je me demande si je n'aime pas juste brûler. Si tu n'es pas juste l'euphorie de la nicotine qui embrase mes poumons, si tu n'es pas juste une montée d'adrénaline et de crevaison. Non, Patrocle, mon amour, je ne veux pas t'épouser. C'est pas que je ne t'aime pas, mon âme, c'est que j'ai besoin de me sauver. Je sais que le feu ne fait que brûler ma cire et que bientôt Icare va crever. Je ne peux pas rester Sisyphe et toujours remonter. Non, Patrocle, mon coeur, mon amour, mon diable, je ne peux pas t'épouser. Il fut un temps où j'en aurais rêvé. Mais je pense que je savais, alors que ton genoux se posait à terre, que je devrais te refuser. Parce que deux poètes allumés ne font qu'un incendie indiscipliné. Non, Patrocle, je ne dois pas t'épouser. Parce que si l'amour se mesure en possession alors je dois le renier.
L'appartement est vide et cette fois ça ne me brise pas. Je pense que quand j'ai ouvert mon gosier j'ai su qu'il allait m'échapper. Je savais que ces menottes qu'il essayait de me passer serait la clé. Je pense que je m'en doutais. Si je n'étais pas sien alors pourrait-il même m'aimer?
L'appartement est vide et cette fois je me fais un café. Je me prépare à ma journée en écrivant un poème sur l'automne. Un automne qui laisse tomber ces dernières feuilles colorées.
L'appartement est vide et cette fois je me laisse manger. Je ne m'éventre pas sur le sol comme une poupée chiffonnée.
Il est tard quand je rentre chez moi, après avoir bosser. L'appartement résonne, mes pas marquent un renouveau que je ne m'attendais pas à apprécier.
Hector est assis face à moi, un verre de soda à la main. Athena est occupée à flirter avec la serveuse. Je me sens heureux. Relaxé. A-chill. Il me sourit et ses joues constellées s'étendent, carte de la galaxie.
" Il est reparti."
Athena se tourne vers moi, yeux écarquillés.
" L'autre bouffon?"
Elle ne le dit jamais devant moi, par respect, mais elle le déteste. Comme tous les amis d'Hector. Je sais que beaucoup d'entre eux ne m'ont jamais pardonné ce que j'ai fait. Mes pics de colère, la tromperie, la rupture, mes vas et viens entre Tom et lui. Je suis l'ex-chien qu'on doit détester. Je suis celui qu'on doit bloquer. Tuer. Athena m'aime bien encore, je crois du moins, j'en suis pas sûr. Elle vient me voir dès qu'elle peut, pour me rappeler que je ne suis pas détesté.
" Oui."
" Bon débarras."
Elle se tourne de nouveau vers la serveuse.
Hector me regarde, ses yeux-lune posés sur moi.
" Tu lui as dit non?"
" Oui. Et il l'a mal pris."
" Oh. Je pensais sincèrement qu'il comprendrait que le mariage peut attendre."
" Il était pas si avancé que ça, apparemment."
Il me prend la main. Ma peau picote. Je ne suis pas encore habitué à ses gestes impromptus. Quand il m'effleure je pense à nos corps enlacés dans son lit, et je sens mes joues rougir. Il est mon ami. Je ne dois pas me jeter sur lui. Ça serait donner raison à Thomas, et admettre que je l'ai poussé pour un autre. C'est faux. Je sais être indépendant.
" Athena a raison. Bon débarras."
Il prend une gorgée de son soda.
" Les autres viennent voir un film à la maison ce soir, si tu veux. Je sais que ça fait un moment, mais je pense honnêtement qu'ils seraient tous contents de te revoir."
" Tu penses, sérieux?"
" Ils t'ont pardonné une fois, ils peuvent le refaire à nouveau."
VOUS LISEZ
Achille
RomanceIcare brûle, Icare s'enflamme, mais le soleil l'acclame. Icare aime le soleil d'un amour éternel