Achille remue, et l'air remue avec lui, répandant la douce odeur musquée de son corps. Je pense que c'est ce qui va me manquer. Je pense que je me tuerai plutôt que de vivre ce manque et je me demande combien de temps il nous reste.
Le Chant d'Achille
Il m'avait appelé, grelottant sous la pluie dans les rues obscures de la ville, et je n'étais pas parvenu à résister. Je ne lui avais jamais dit non, quand sa voix emplissait mon esprit, seul oui sortait, et je me haïssais, et je détestais le soleil, et je détestais les nuages qui ne me protégeaient plus.
Il était si tard, il faisait si froid, j'étais si fatigué, le goût sucré du chocolat encore coincé dans mon coeur. Derrière mes paupières je voyais le danger, mais je ne reculais pas, je n'osais pas, je devais être le héros une nuit de plus.
Il était à la gare, assis sous l'abris, portant seulement mon pull et un jean. Il n'avait pas ses lunettes sur son nez de Grec Ancien, le miel de ses yeux avait tourné, aucune douceur ne s'y lisait. Je m'étais assis à côté de lui, essoufflé, pas de transports à cette heure-ci, j'avais couru, Phidippidès moderne, la sueur perlait à mon front comme pour prouver que je m'étais démené. Il n'avait même pas craché un "'lut", il s'était contenté de me vomir des mots. Il m'avait conté son emprisonnement, il m'avait décrit ses barreaux, ses bourreaux, ses menottes, il m'avait conté son désespoir de voir la corde se resserrer sur son corps, ses pieds se débattant dans le vide, il m'avait conté la Prison et la Mort, il avait vomi ses entrailles, il avait recraché son coeur.
Il était coincé, il ne savait pas comment s'échapper, son coeur battait sur sa manche, sa peau était fleurie et je l'écoutais, poitrine ensanglantée, couteau dans le coeur, poignard dans le dos. Il avait régurgité ses mots jusqu'à en perdre sa voix, puis, il s'était levé et était parti, pluie battant sur la laine de son pull, Déluge anéantissant.
Combien de temps étais-je resté sous l'abris, espérant qu'il revienne?
La pluie avait détrempé mes vêtements. Je grelottais, grimpant quatre à quatre les marches des escaliers, l'eau perlant dans mon dos, l'eau gouttant sur mon front, mes cheveux plaqués contre mon visage de monstre. Je ne sais pas trop pourquoi je pris la décision de toquer à sa porte, ni pourquoi il m'ouvrit. Etait-ce parce que Thomas avait convoité cet appartement, avant? Etait-ce parce qu'il portait les vestiges d'un chez-moi auquel je n'avais jamais eu droit? Etait-ce parce qu'il était le soleil que mon Hélios n'était pas, finalement?
Il m'ouvrit la porte, serviette autour de la taille, cheveux mouillés, peau cramoisie, conséquente d'une douche brûlante. Clash des températures. Il ne dit rien, me laissa entrer, s'en fut dans sa chambre et revint vêtu d'un jogging et d'un t-shirt large.
Hector.
Je n'eus pas la force de parler. Les larmes étaient mélangées à la pluie qui coulait toujours sur mes joues, et je m'effondrais sur son canapé, devant son regard-fenêtre. Je n'avais nul refuge, je ne pouvais m'échapper des monstres, rien ne me protégeait. Personne. Je n'avais plus d'amis, je n'avais plus d'amours, je n'avais plus d'endroit que je considérais comme ma maison. J'étais si pathétique que j'allais pleurer chez mon voisin, mon pauvre voisin qui n'avait rien demandé.
Il m'écoutait, pourtant, moi qui ne disait rien. Il me regardait, sans aucuns jugements, il me regardait mourir sur son canapé, il me tenait la main du regard, il laissait ses yeux glissants sur moi, un sourire peiné au lèvres. Il souriait toujours. Quand est-ce qu'il laissait disparaitre ce foutu sourire? Ne savait-il faire que ça? J'avais envie de lui arracher.
Son sourire me narguait, il me criait que lui savait maitriser ses émotions, il me criait que lui ne se jetait pas vers le soleil, qu'il ne se laissait pas consumer par les flammes traîtres de l'étoile, qu'il ne se laissait pas embraser par l'exaltation du feu. Le rouge, le noir, le bronze, je formais une torche humaine.
Il m'offrit une main tendue, il m'offrit une tasse de chocolat, il m'offrit une couverture.
Et moi, je songeais à toutes les manières possibles pour l'anéantir.
Bel héros défiguré.
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Achille
RomanceIcare brûle, Icare s'enflamme, mais le soleil l'acclame. Icare aime le soleil d'un amour éternel