Chapitre 4

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Paul savourait ses chipirons,l' ail,les piments, les effluves remontaient à ses narines, son cerveau.

C'était le soir, il était pieds nus, torse nu, du sable dans les cheveux, il riait, ils souriaient de le voir heureux.

Paul se leva, agitant sa main devant son visage, le serveur se précipita lui demandant si il avait pris un éclat dans l'œil et Paul réalisa que de l'eau coulait de ses yeux , ce n'était que de l'eau, il devait reprendre ses esprits.

Il traversa la salle.
Les fleurs quittaient les nappes, sa grand-mère lui souriait à côté du vaisselier.

Il fit demi tour,il lui restait deux mètres jusqu'à la table pour se reprendre et nourrir une conversation insipide.

Le pansement barrait la route des visages, il était invincible, il se rassit, reprit son rôle et termina son repas.

Jean lui parlait d'un chef de service qui allait être renvoyé, chacun de ses mots suintait de sa jouissance à le plaindre, à le regarder couler.

Paul percevait son regard, son mépris, décuplé par son apparente bonté.

Jean ne lui demanda pas pourquoi de l'eau avait subitement coulé de ses yeux, pour ne pas à avoir à l'écouter.

Il ne voulait surtout pas savoir, de peur de devoir lui répondre.

Paul le regardait sans un mot, Jean demanda l'addition et se leva.

Ils repartirent, Jean devant, Paul le suivait chassant les visages avec sa main.

Il reprirent place dans leurs bureaux respectifs.
Jean faisait semblant de travailler.

Paul s'évertuait à se concentrer, pour faire le travail de deux personnes .

Il apercevait Constance regarder Jean qui ne la regardait pas.

Constance travaillait, levait les yeux, trouvait chaque jour, toutes les heures, des motifs pour aller voir Jean , qui la laissait venir.

Il se reculait dans son fauteuil, les bras posés sur les accoudoirs , sympathique, suffisant, amusant.

Constance était son jouet, soumise, éperdue, jolie, seule, et totalement dépendante.

Paul enchaînait les dossiers, éliminant tout parasite, s'interdisant tout pas de travers.

Jean se leva, passa dans don bureau, après n'avoir pas salué Constance qui était au téléphone.

Ils évoquerent deux dossiers, à nouveau le chef de service, qui était, paraissait il , au plus mal, ce qui mettait Jean en grande joie pour la soirée.

Paul resta tard, il se leva et découvrit qu'il était le dernier.

Constance avait du rentrer chez elle, seule, avec son maquillage, son beau tailleur.

Paul partit à son tour, traînant des pieds, son cartable dans la main droite. Il raidit son bras qui commençait à se balancer.

Il stoppa dans la rue, regarda à droite , à gauche, comme si quelqu'un l'attendait.

Personne, ils tapaient dans sa tête, ils étaient en lui, ils ne partaient plus depuis vendredi.

Il soupira, prit la direction de son appartement, et sourit. Il venait de remarquer la décoration de son café du matin, un croissant en plastique jaune canari, orné de guirlandes.

Il ne l'aurait pas remarqué, avant.
Il égaya sa soirée, il s'arrêta prendre du chinois , et rentra.

Il refusa de sortir, refusa de voir Clara, qu'il voyait régulièrement, mais toujours la nuit, et se réjouit de retrouver Monsieur Patate.

Il dormait dans la chambre , une patte sur le livre bleu.
Il ouvrit un œil, et s'étira.

Paul avait lutté toute la journée, il savait qu'il n'avait pas d'autre solution que de lire chaque page.

Il s'installa pour dîner, Patate le rejoignit, et il se mit à le caresser, comme pour se faire pardonner de ces quinze ans passés à le nourrir, et à l'ignorer.

Patate avait attendu quinze ans, et se dandinait de joie, il profitait du moment, ne le jugeait pas, et clignait des yeux de bonheur.

Paul prit une douche, se fit un thé, nettoya la théière, puis trouva la cuisine en désordre, rangea, passa l'aspirateur, prépara le linge sale à donner à nettoyer, nota sur son agenda des relances à prévoir pour son travail, sorti sur son balcon vérifier que la rue était calme, se mit à lustrer sa salle de bains, alors que sa femme de ménage passait déjà deux fois par semaine.

Il regarda sa montre, deux heures, il partit, épuisé, dormir, posa soigneusement le livre bleu sur sa table de nuit, après l'avoir attrapé du pouce et de l'index, comme s'il était sale.

Il s'envola quand même vers sa grand mère, la seule qu'il acceptait de revoir.

Il se tenait dans sa cuisine, au milieu de ses vielles casseroles gondolees, ses torchons troués, sa nappe cirée bleue.
Les casseroles tanguaient sur la plaque à gaz, le lait, la soupe bougeaient en vaguelettes.

Elle n'était ni pauvre ni riche, mais économe, et ne voyait pas l'intérêt de changer ses ustensiles, ni de repeindre la cuisine. L'essentiel était dans le sourire de Paul lorsqu'il plantait sa cuillère dans la crème.

Paul se réveilla juste avant ce moment, il était six heures trente.
Le livre sur la table de nuit n'avait pas bougé.

La montre de Paul était posée juste à côté, il en pris une autre dans un tiroir de peur de s'approcher.
Il devait suivre le rythme du métronome de sa vie.

Enfiler son plus beau costume, ce soir il appellerait Guillaume ,son ami, divorcé, ils sortiraient, feraient la fête, c'était sa vie.

Il allait écraser les fleurs, piétiner les visages, il allait vivre sans eux.

Oublié le lancer de cartable, déchirées les photos, ignorée l'eau qui monte aux yeux, colmatée la brèche.

Invincible, il allait s'assoir à sa table habituelle au café, snober le serveur, ne pas voir la dame sur son banc, se gausser des regards de Constance, travailler dur pour Jean qui ne travaillait pas, rire des autres avec lui.

Il partit ainsi en claquant la porte, sans un regard pour le palmier.
Il se fondait parfaitement dans le flot du trottoir, droit, élégant, le regard vers l'horizon, la main droite sur le cartable sans un mouvement.

Il stoppa prendre un café, s'assit à sa table, fit signe de la main, ne dit pas un seul mot, le but, ne croisa pas le regard du serveur et repartit.

Il traversa la place, ne remarqua personne, ni même les rubans et le gilet vert qui décoraient la dame sur le banc, qui elle même décorait le banc.

Il posa ses pieds sur la moquette, ne regarda pas les tableaux dans le couloir, salua Constance d'un regard, fit signe à Jean, et partit boire le café avec lui .

Il ne parlèrent que de dossiers , il s'amusa avec lui de ses moqueries.

Il était froid, distant, et souriant.
Le midi, même conversation insipide, il ne vit pas les fleurs, ni le buffet, ni les regards de la jolie serveuse.

Il avait gagné, il était plus fort qu'eux.
Il s'amusa avec Jean qui était heureux de le découvrir médisant comme lui.

Il passèrent la moitié de l'après-midi à regarder les chiffres déplorables de leur collègue sur le départ.

Le malheur de cet inconnu était merveilleux.

Il répondit sèchement à l'appel de Clara qui prenait de ses nouvelles, histoire close, pas de sentiments, que de l'égoïsme jouissif, et partit fier de lui.

Clara ne comptait pas, elle était jolie, agréable, le buvait des yeux, mais il n'avait jamais eu envie de la connaître.

Il ne l'avait jamais vue de jour, et aujourd'hui plus que les autres jours n'avait aucun regret.

Il s'arrêta à la porte, et fila tout droit dans la rue, occupé à appeler Guillaume pour préparer leur soirée.

La dame aux rubans sur le banc était transparente, l'odeur des marrons chauds ne lui rappelait rien, les décorations à moitié montées ne clignotaient pas.
Il avait repris sa vie morte.

Les Fleurs poussent aussi sous le bétonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant