Chapitre 31

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Paul était déjà au bout de la rue, ils le suivaient au loin, comme la veille.

Ils le regardaient tourner en direction du chalet, quand Antoine ralentit le pas. "On reste à distance, au cas où il nous cherche". Jeanne et Suzanne acquiescèrent. Ce moment lui appartenait. Ils attendaient. Jeanne fixait des luges alignées devant un magasin, depuis qu'elle était à nouveau vivante, elle voulait tout essayer. Antoine se disait que des bottes à poils iraient bien avec la luge. Il s'imaginait lui offrir, et souriait des yeux, tout seul .Puis, il pensa à la cheminée de cette nuit, et se souvint de la cheminée du restaurant. Il dit à Suzanne, " Il faut trouver de quoi allumer un feu. S'il ouvre les volets du restaurant, il faudra allumer un feu dans la cheminée. "
Jeanne tourna ses moufles dans tous les sens, et ses yeux qui dépassaient au dessus d' une écharpe géante, elle ne devait pas attraper froid, clignotaient d'enthousiasme.
Suzanne filait déjà vers l'épicerie, pour trouver des allumettes, et demander à Etiennette du petit bois. Antoine et Jeanne la suivaient. Jeanne se rappelait le regard de Léa, la voix à la clé, et se demandait si Paul l'avait vu , ou pas. Suzanne ne savait pas. Antoine pensait qu'il l'avait entendue, mais pas vue, pas regardée, ou en flou, comme une photo jaunie.
Étiennette les accueillait par une salve de questions, mais devant l'urgence expliquée rapidement par Suzanne, revint vite avec un grand cabas contenant trois boîtes d'allumettes, du petit bois, et trois bûches.
Jeanne leur rappela que Paul avait peut-être déjà ouvert la porte.
Ils repartirent aussitôt.
Le soleil commençait à faire scintiller la neige, les montagnes se réveillaient , immobiles , sans un bruit. Ce silence leur rappelait le bruit de la rue, le matin, les voitures, tous ces bruits augmentés. Ici, tout était ralenti, atténué, feutré.
Ils marchaient côte à côte, ne parlait plus. Chacun se demandait ce qui allait se passer, une fois qu' ils auraient laissé la rue principale.

Paul était monté, vide de pensées. Il ne voyait pas les bâtiments, n'avait pas regardé les montagnes, n'avait pas entendu les premiers bruits du matin. Il n'avait pas vu les quelques visages croisés. Il serrait la clé, ses doigts était blancs. Il leva ses yeux sur le chalet, recouvert de neige, sans vie. Paul s'approchait de la porte, desserrait ses doigts. Un immense vide s'ouvrait sous ses pieds. Il resta de longues minutes, figé, devant la porte.

Il savait que Suzanne, Antoine, Jeanne n'étaient pas loin, comme un parachute prêt à s'ouvrir. Il faisait passer la clé d'une main à l'autre, l'approcha finalement de la serrure, l'enfonça et la tourna. La serrure était dure, la clé peinait à tourner. Un déclic, il savait qu'il n'avait plus qu'à pousser la porte. Il fallait maintenant poser la main sur la poignée, appuyer. Il allait se catapulter dans un autre monde. Ne pas penser, juste appuyer sur la poignée, faire un pas , deux pas, il plissait les yeux, plongé dans la pénombre. Il se cognait à des meubles, apercevait la silhouette de la cheminée, fit demi- tour, et s'approcha à tâtons d'une fenêtre, celle à côté de la porte. Il ouvrit, dans un grincement, les volets.
La vue était toujours la même, mais Paul était terrassé, il s'effritait à nouveau. Il s'appuyait sur le rebord de la fenêtre, submergé, noyé d'eau. Ses jambes tenaient, mais sa tête tournait, inondée d'images. Il était incapable de se tourner vers l'intérieur de la pièce.
La pièce était sûrement restée en l'état, mais vide de tout mouvement, de toute vie.

Il fixait la neige, ce blanc le rassurait. Il aperçut une forme bouger au coin dernier bâtiment de la rue.
C'était un pompon rouge, un pompon comme il en avait eu sur ses bonnets,un pompon d'enfant, un pompon vivant.
Il l'avait reconnu. Il savait que sous le pompon les yeux gris de Jeanne étincelaient. Il savait que deux yeux noirs couvaient le pompon, prêts à s' enflammer, et qu' une dame un peu âgée, multicolore, un majordome coincé les suivaient.

Il savait qu' ils attendaient, qu'il l'avait suivi de loin, au cas où.

Le pompon disparaissait, réapparaissait, se secouait. Paul en observant la danse du pompon se calmait. Il décida de les attendre pour se retourner.

Le pompon réapparut, le visage d'Antoine au dessus, ils attendaient un signe. Paul sourit, un sourire de larmes, un sourire de début , un sourire d'inconnu.

Ils s'avancaient, Antoine portait un cabas, avec Jeanne, une anse dans chaque main. Suzanne regardait les volets ouverts, la silhouette de Paul , le visage de Paul , à sa place.

Jeanne lui cria, "Attends avant de bouger ". Il fallait mettre des couleurs, de la chaleur dans la pièce avant qu'il ne se retourne. Elle courait presque, le pompon se secouait dans tous les sens à présent, Antoine suivait le mouvement. Il ne devait pas voir la pièce morte. Ses yeux étincelaient, un feu y brûlait déjà. Armand les regardaient fasciné.

Il rentraient à présent dans la pièce. Ils apercevaient la cheminée. Antoine vérifia qu'elle pouvait fonctionner. Armand sortit un chiffon de sa poche et épousseta soigneusement le rebord. Suzanne disposait le bois.
Paul n'avait pas bougé. Il entendait le bruit du bois, puis des allumettes. Le craquement du bois, la lueur des flammes commençait à se refléter dans les vitres de la fenêtre .
Ils se reculèrent, pour lui laisser la place. Antoine et Jeanne d'un côté, Armand et Suzanne de l'autre.

Jeanne lança un " Tu peux te retourner". Elle aurait pu dire ," un deux trois soleil ", comme "je te balance des étoiles dans ta tête". Paul inspira, il savait qu' il allait se retourner .

La pièce était encore dans une semi pénombre, moitié morte, mais la cheminée vivait. Les meubles n'avait pas bougé. Il fixait la cheminée, leurs visages rougis par le reflet des flammes. Il s'approcha et instinctivement, se baissa, s'accroupi. Il remuait le bois, tendait ses mains. Il retrouvait ces gestes oubliés, rayés, déchirés.

Les Fleurs poussent aussi sous le bétonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant