Chapitre 41

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Il y a des matins qui sonnent le glas, des matins où on se sent redevenir soi, sans peur, sans attente particulière. Qu'il est étrange de se retrouver enfant dans une enveloppe d'adulte.
Paul dans son corps d'adulte tardait à ouvrir les yeux sur ce matin là.
Il imaginait le restaurant, mettait des fleurs roses, jaunes, mauves, vertes, une fourmi géante jaune et bleue, tournée vers le haut, au dessus de l'enseigne, les imaginait sous la neige, sous le soleil de l'été , rajoutait "depuis 1950" , mettait un tablier à fleur à Jeanne. Il faisait vivre le restaurant, les voyait tous virevolter dans la salle, autour des clients.

Il savait qu'ils allaient repartir, ce matin. Il savait qu'il allait devoir retrouver sa rue, mais avec eux. Rien n'était précis, rien n'était fixé, rien n'était sûr, et pourtant il ne s'était jamais senti aussi vivant. Il essayait d'entrouvrir sa paupière, pour voir si Léa était encore là. Il l'apercevait entre ses cils, la tête posée sur le rebord du fauteuil. Il n'eut pas besoin de poser son visage de petite fille, elle lui ressemblait beaucoup en dormant. Paul clignait des yeux, apercevait les quatre clés posées sur la table, du blanc dehors, il avait du neiger. Il entendait un cliquetis qui devait venir de la cuisine, Armand sûrement, et Suzanne, son fauteuil était vide. Il laissa ses yeux encore un peu fermés, et écouta les voix basses, les bruits chuchotés pour ne pas les réveiller. Il ressentait toute la tendresse de leur intention dans ces bruits assourdis.

Il voulait faire durer ce moment, incertain, vertigineux, doux, cette promesse d' inconnu qui lui faisait peur et le fascinait, ces secondes où tout semble possible, simplement en envisageant un autre chemin, en écoutant cette certitude jaillie du fond de soi, comme une évidence.

Léa bougeait, il apercevait sa tête se relever, ses yeux étonnés d'être là. Les cils de Paul continuait de battre tout doucement, pour rester caché derrière eux. Léa sourit en le regardant, un tendre sourire d'indulgence, comme si la veille avait effacé sa fuite. Paul ouvrait un œil, puis un autre, ce qui donnait un air bancal à son visage.
Léa se leva, elle avait une réunion , elle planta ses yeux dans les cils de Paul, ne posa aucune question, et lui dit juste "A bientôt ". Elle aurait pu ajouter, "peut-être ", mais ne le fit pas et sortit sur la pointe de ses grosses bottes à poils.
Paul réalisait à présent que cette petite boîte de vie qu'il s'était construit, hermétique aux émotions, explosait.
La peur, la joie, la tendresse brisaient la porte, les fenêtres, et s'écoulaient partout, à l'intérieur, doucement.
Il referma les yeux, se laissa flotter encore un peu.
Antoine et Jeanne s'etiraient, Armand et Suzanne posaient le déjeuner.
Il souleva ses paupières, et se leva. Tous partirent se doucher dans leurs chambres innocupees. Il fallait faire les valises. Paul retrouva la photo du chalet, sa valise pleine, une chemise jetée sur le lit, un tee shirt sur le sol. Ce désordre qui lui était insupportable avant, le rassurait ce matin.
Il ferma la valise, et la porte, rapidement.
Ils se retrouvèrent tous, encore une fois dans le couloir, et devalerent l'escalier.
Le petit déjeuner était somptueux, ils firent tous une bise sur la joue d'Armand, qui ne s'étonnait plus de rien, et rosissait légèrement.
Ils étaient gais, Paul aussi, ils devoraient , riaient. Ils n'étaient pas tristes, ils allaient revenir.
Armand racontait la semaine à venir, l'hôtel qui allait se remplir.
Suzanne sortit avec Antoine pour démarrer Marguerite. Paul et Jeanne couraient derrière pour les aider à enlever la neige. Les couleurs réapparaissaient, comme des tâches.
Ils chargerent les valises. Antoine sortit sa tête du capot et déclara Marguerite prête à démarrer.
Paul la regardait, elle l'avait ramené ici. Ils dirent au revoir à Armand, lui promirent de revenir, le laissèrent un peu sonné. Suzanne était déjà au volant, Jeanne et Antoine collés à l'arrière , la faute aux valises.
La tête de Paul tournait, le mirage de ces trois jours s'éloignait, sa rue, Monsieur Patate, Jean, réapparaissaient. Il collait son nez à la vitre, son cœur s'accélérait.
Le départ avait été rapide, comme un pansement arraché. Antoine lui rappela aussitôt qu'il avait encore trois jours pour imaginer le restaurant vivant, et lui dedans. Jeanne lança la musique. Ils étaient déterminés à faire de ce retour un voyage dans le futur. La neige s'éloignait doucement, Paul savait que lui seul pourrait décider de revenir.
Marguerite donna plusieurs fois des signes de faiblesse, ils s'arrêtèrent pour la faire respirer, Paul aspirait l'air lui aussi, à chaque fois.
Il re-decouvrait les paysages familiers, les odeurs, comme s' ils avaient été effacés par ces trois jours. Tout ce qu'il avait rayé ces dernières années avait effacé son quotidien. Le passé était devenu présent, le présent son passé.
La ville s'approchait, plus de neige, beaucoup de gris. Paul s'accrochant à la musique, aux idées d'Antoine pour le restaurant, à Monsieur Patate qu'il allait retrouver. C'était impossible encore de s'imaginer retourner dans son bureau, alors qu'il y était encore là semaine précédente. Cette vision lui fracassait l'estomac, le tordait, l'essorait. Il secoua la tête et calcula qu'il lui restait bien trois jours.
Antoine préparait à présent sa soirée du jeudi, renommée cette semaine, soirée du vendredi, depuis la banquette arrière de Marguerite. Il ne laissa pas le choix à Paul, et lui demanda de l'aide pour les préparations. Antoine était une machine à idées, des bulles devaient sortir de sa tête, à chaque instant, encore plus depuis qu'un fil, incassable, le reliait à Jeanne.
Marguerite faisait un dernier effort, ils rentraient dans la ville. Les premières rues, avenues, sont toujours ternes, mornes. Jeanne monta le son, Antoine donna rendez-vous à Paul pour dans une heure. Suzanne allait les rejoindre.
Il ne fallait pas lui laisser le temps de retomber, de se dégonfler, de se faire envahir par le gris. Paul se concentrait sur Monsieur Patate qu'il allait retrouver, sur le bar d'Antoine qui allait se rallumer, sur Petit ventre dodu qui allait rappliquer, lorsqu'ils le deposerent devant son immeuble. Il n'avait pas pensé que c'était vendredi, dix sept heures, la rue grouillait. Il descendit de la voiture.Sa tenue, Marguerite, eux dedans qui riaient,la photo du chalet à la main, juraient avec la rue du temps d'avant. Il n'y pensa pas.
Il souriait en apercevant le palmier, il n'était plus seul.













Les Fleurs poussent aussi sous le bétonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant