Chapitre 25

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La nuit avait été longue, la faute au noir qui emballe les idées, à la lune qui éclaire les visages perdus, à la peur de se retrouver là bas sans eux, à l' absence décuplée. Paul se demandait si ce ne serait pas plus simple de rester assis sur son banc, de trouver Jean sympathique , de reprendre sa vie, et de ne pas partir.
Mais il ne pouvait pas, ils allaient l'attendre, eux qui l'explosaient, le dynamitaient de l'intérieur.
Il revoyait ses dernières semaines, spectateur de son implosion, ne comprenait pas tout, mais il allait se lever, mettre de la musique, et suivre son instinct, fracasser ce voile noir, et partir, trois jours, ce n'était que trois jours, puis sa vie reprendrait son cours normal. Il reprendrait sagement son travail, il oublierait ses souvenirs, il rangerait le livre, et vivoterait. A cet instant précis, il se rassura ainsi, pour mieux sauter. Il rangea son appartement, le remis en mode parfait, neutre, sans vie, prit son sac et descendit. Laure qui sortait juste quand il descendait les dernières marches, le salua doucement, et lui souhaita un bon voyage. Paul regardait le palmier, et ne put s'empêcher de penser à ce jour là, au livre qui était dans son sac, à la petite voleuse, à son effritement, il était tombé en mille morceaux. Il prit une inspiration, sourit, et passa la porte. Il posa son pied dans la rue comme on part dans l'espace.

Il était sept heures trente, il était en avance. Il s'approchait du bar, lorsqu'il aperçut une fourgonnette hors d'âge, verte et jaune, des fleurs peintes sur le côté, et un slogan "La vie en vert". Antoine semblait s'agiter au dessus du capot, tandis que Suzanne était au volant.
Ils n'allaient jamais arriver là haut. Il s'approchait lorsque la voiture démarra, un strident "c'est nickel" d'Antoine le contredit. Comme à chaque fois, ils l'accueillirent prudents, ne sachant pas dans quel état il était. Paul souriait, ils l'emportaient dès qu'ils les approchaient. Antoine avait préparé le repas du midi, Roland sortit de son épicerie chargé de bouteilles, de fruits, et Jeanne apparut comme par magie, et posa ses lèvres sur les joues d'Antoine, comme on pose ses lèvres sur d'autres lèvres. Antoine sembla parcouru d'un frémissement.

Suzanne sortit de la voiture, et lui expliqua que son mari avait une entreprise d'espaces verts. La voiture était fiable, et tenait parfaitement sur la neige . Ils avaient regardé la météo, des flocons étaient prévus en altitude. Ils allaient donc partir. Suzanne conduirait au départ, Paul à ses côtés, Antoine et Jeanne à l'arrière avec tous les sacs. Roland se posta sur le bord du trottoir pour assister au départ. Antoine ferma le bar, s'installa à l'arrière, le casier de bouteilles le séparait de Jeanne, et il y rajouta une bouteille de son meilleur rhum. La portière côté passager grinçait dès qu'on la touchait, mais elle finit par s'ouvrir. Paul dut la soulever pour la fermer. ils étaient prêts. Suzanne s'installa, mis le contact, ce qui provoqua un saut de Roland, qui se mit à battre des bras dans tous les sens lorsqu'ils démarrèrent. Paul avait collé son nez à la fenêtre, et se demanda comment il serait dans trois jours. Il regardait les guirlandes du sapin de la place, les décorations, la lune qui filait se coucher, il n'avait plus le choix. Antoine saluait les passants avec la main , comme une star dans sa camionnette. Suzanne riait, grisée de la conduire à nouveau. Jeanne regardait Antoine qui riait. Il se sentit apaisé, lui qui n'aimait que le propre, le net, le neuf, le prévisible, il était gai comme un enfant qui part à la mer pour la première fois. Suzanne fit un détour, et passa devant le salon de thé. Marianne était postée sur le trottoir, une caisse de biscuit dans les bras. Ils descendirent tous pour la saluer et Antoine embarqua les biscuits. Lorsqu'ils repartirent et prirent à gauche, elle agitait encore sa main.

Suzanne connaissait la route par cœur, ils n'allaient prendre que des petites routes, mais Jeanne avait tout le trajet sur son téléphone, et l'avait même imprimé , au cas où elle n'aurait plus de réseau. Antoine décida qu'ils devaient trouver un nom à la voiture, pour l'encourager jusqu'au bout du chemin. il proposa Marguerite, et ce fut adopté à l'unanimité. Paul, le nez toujours collé à la fenêtre, proposa de mettre la radio, peut être pour ne pas avoir à parler. Il provoqua un éclat de rire général. Mais Jeanne et Antoine avait prévu une enceinte. Paolo Conte se mit à chanter, les sourcils de Paul se levèrent, et la voix de Jeanne, claire, s'éleva doucement. Le temps était suspendu. Ils l'écoutaient, toutes les étincelles de ses yeux, transpiraient dans sa voix, elle dégoulinait de vie. A la fin, ils l'applaudirent, Antoine captivé, lui demanda de mettre Volare, des Gipsy Kings. Il ajouta "mes yeux noirs viendrait d'un gitan qui serait passé dans ma famille", comme pour prévenir Jeanne, que la vie avec lui ne serait pas de tout repos. Il se mit à taper dans ses mains, Paul se sentit obligé de taper aussi, Suzanne les accompagnait en tapant sur le volant. Ils enchainèrent plusieurs musiques, jusqu'à ce que les premières notes de la voix de Toto Cutogno s'élève, suivie de celle de Paul, c'était la chanson préférée d'Octavie sa grand mère, qui la mettait tous les matins lorsqu'elle commençait à ouvrir le bar, la faute peut être à l'Italie qui n'était pas très loin. Paul ne savait pas, mais il ne pouvait pas ne pas chanter, "Lasciatemi cantare" , laissez moi chanter, comme on dit "laissez moi vivre, vivre ma vie, celle que je voulais, que j'ai oubliée, rayée de ma carte, celle que j'ai piétinée". Paul était toujours tourné vers la fenêtre, sa voix devenait de plus en plus puissante, il ne pensait plus, n'était qu'une voix, sa voix qu'un cri, des pleurs , et des rires mélangés. Il ne chantait pas toujours juste, mais vrai , il explosait au rythme des notes. Ils ne chantèrent avec lui que le refrain, à la fin, pour lui dire on est là, on t'accompagne, tout va bien se passer, il fallait que tu reviennes là bas. Dès la fin de la chanson, Suzanne proposa une pause, la voiture chauffait, ils s'arrêtèrent au bord d'un près, les montanes au loin. Paul était captivé par leur vue, ils reconnaissaient tous les paysages de la route au fil des kilomètres, il se sentait déjà tellement loin de tout. Suzanne sortit du café, Antoine prit des biscuits, et ils déjeunèrent ainsi les pieds dans la boue, au milieu des champs.

Ils repartirent en musique, les yeux rivés vers les montagnes, sauf ceux de Suzanne accrochée à son volant. Un voyant s'alluma vers onze heures trente, elle n'était pas étonnée, le garagiste l'avait prévenue, elle devrait remettre de l'huile. Ils étaient dans un village, elle s'arrêta sur la place. Il faisait plus froid déjà. Antoine s'occupa du moteur. Paul descendit, il regardait les bâtiments, il lui semblait reconnaître, peut être s'était- il déjà arrêté avec ses parents. Il reconnaissait le froid piquant qui descendait jusque là. La cheminée du bar restaurant sur la place fumait. Il décidèrent de manger dans la voiture et de boire un café ensuite.

Antoine, lui proposa un rhum, Paul l'accepta, il fallait qu'il s'anesthésie avant d'arriver au village.



Les Fleurs poussent aussi sous le bétonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant