Paul regardait les lumières de l'hôtel, serrait le bout de tissu rance d'Émilien dans sa main. Les montagnes ne bougeraient pas, la neige , le printemps reviendraient encore chaque année. Il pourrait revenir sans le chalet, sans Octavie. Il sautilla entre deux pas, et dit "Vous voulez que je refasse ma crème brûlée ". Il provoqua une salve de sourires derrière lui. Parfois les sourires ne font pas de bruit, mais si on les entend, ils ont une autre saveur.
Il y prenait goût, comme à marcher plus grand.
Paul agrandissait ses pas, pour atteindre la terrasse. Il vit Marguerite garée en face, prête à démarrer le lendemain, à les ramener.
Il montait sur la terrasse, Armand les attendait. Il avait à nouveau dressé la table, rallumé les lumières.
Paul prit l'escalier en sautant des marches. Dans sa chambre, les vêtements éparpillés, le lit fait, le téléphone éteint, semblaient l 'attendre. Il restait immobile devant le téléphone, sorti d'un autre temps . Il ne le rallumerai pas, pas ce soir.
En fermant le chalet, il s'était senti orphelin. Il était orphelin. Il n'aimait pas ce mot, couperet, dur. Il dirait "J'ai une famille, mais vous ne la verrez pas ".
Il se sentait aussi étrangement libre. Il s'était décomposé puis recomposé, ici, avec eux. Il rallumerai le téléphone plus tard, après.
Léa revenait ce soir, ils avaient chuchoté, avec elle. Ils ne la connaissait pas et chuchotaient, déjà.
Il ferma la porte de sa chambre, et s'arrêta, dans l'escalier. La photo du chalet avait été remplacée par une photo de l'hôtel.
Suzanne et Armand étaient à la cuisine. Antoine se frottait les mains devant la cheminée. Lorsqu'il se retourna, ses yeux noirs pétillaient.
Paul s'y était habitué, il n'avait pas vraiment peur. Il le rejoignait, quand Antoine lui dit "Léa s'est mariée, à divorcé, et elle est revenue il y a quinze ans" . Ils s'étaient donc croisés.
Paul lui expliqua qu'il avait fui, à dix huit ans. Antoine leva ses yeux, incrédules. Lui n'avait pas peur, ne fuyait pas. Il n'allait pas fuir Jeanne. Paul avait eu peur et Léa revenait, ce soir.
Armand avait tout préparé.
Jeanne descendait l'escalier.
C'est à ce moment là qu'elle entra, les joues rougies par le froid, les cheveux parsemés de flocons. un large sourire collé sur son visage. Paul colla son visage de petite fille sur son visage de femme.Elle l'impressionnerait moins.
Antoine et Jeanne l'amenaient à la cheminée. Il la questionnait sur ses études, son retour, sa vie ici.
Paul écoutait. Elle se tourna vers lui, pas pour les questions, mais pour répondre.
Armand déclara le repas prêt et ils passèrent à table.
Il avait préparé une fondue, un plat à partager, encore.
Antoine deguena le premier, en demandant à Léa ce qu'allait devenir le chalet. Elle expliqua que faute de repreneur, ils allaient sûrement le raser et vendre le terrain. Sa voix se cassait un peu et Paul s'affaissait. Il baissait les yeux. Antoine le fixait, puis il tapa dans ses mains, Jeanne l'imita, en tapant moins fort mais plus vite avec ses mains fines. Paul leva des yeux résignés. Antoine le fixait. Armand se leva, prit un paquet sur un buffet. Le paquet fait de papier vert, fermé avec une ficelle, était un paquet d'un autre temps. Il le donna à Léa qui ne l'ouvrit pas, se tourna vers Paul, et lui tendit. Paul ne bougeait pas, Léa restait le paquet en l'air, tendu vers lui. Elle n'osait pas parler, elle ne trouvait pas le bon ordre des mots. Paul prit le paquet quand même, sans les mots. Il denouait la ficelle, puis le papier.
C'était la photo du chalet, celle qui avait disparu de l'escalier. Il ne bougeait plus.
Antoine trouva les mots.
" C'est le chalet, si tu veux le reprendre, la mairie, Léa, te le mettra à disposition, deux ans, pour que tu puisses le racheter, après." Il rajouta "J'ai pensé à des soirées, à un dessert signature" . Jeanne reprenait ses entrechats assise, ses mains volaient, accompagnait les mots d'Antoine. Les rubans de Suzanne étaient plus roses à nouveau.
Il les regardait, tétanisé, sans voix, une peur sourde au fond du ventre. Il sortit sur la terrasse, les laissant suspendus à son temps . Il ne pouvait pas, il était seul, il avait un travail, sérieux. Il avait trouvé les arguments pour ne pas sauter, et rentra, aussitôt. Antoine avait compris, déjà.
Paul fuyait vers la cheminée, en traînant ses pieds. La voix d'Antoine parlait, disait que lui pouvait cuisiner, Jeanne servir, Suzanne aider. Il l'entendait au loin. Les images prenaient vie, il les voyait dans le chalet .Il invoqua, dans le désordre, son appartement, il pouvait être vendu, son travail , il pouvait partir, monsieur Patate, il aurait plus de place. Il avait dilapidé en costumes voyages rencontres sorties insipides, son argent, on se serrera les coudes, je vais vendre mon bar. Ils ne les connaissaient pas et pourtant. Antoine imaginait déjà des luges à l'entrée, les meubles bruts, l'enseigne "Le Restaurant "en bois clair, la terrasse vivante à nouveau. Le cœur de Paul faisait des bonds, des soubresauts, au rythme de ses mots.
Jeanne se planta devant lui et l'acheva, un feu d'éclairs dans le regard.
Il la regardait, danseuse déglinguée, si jeune, frêle combattante, revenante.
Ses yeux étincelaient de colère, devant sa peur minable.
Il les imaginait. Armand avait pris la photo, fait le paquet avec Suzanne sûrement, après avoir écouté leurs chuchotements.
Le paquet maladroit, la ficelle usée, l'emietait.
Il se releva, redressa ses jambes, ses épaules, sa tête, ses yeux, et sa bouche se mit à parler.
Il lui faudrait de l'aide en cuisine
Jeanne tourbillonait, Antoine attrapait un carnet et un crayon, Suzanne et Armand se tenaient les mains. Léa trouvait à nouveau des mots.
Il était libre, planait dans le vide, le vide comme une évidence.
Armand amena le dessert, une tarte aux myrtilles, de la chantilly maison à gogo. Jeanne lança Felicita, le feu crépitait, Paul chantait, mort de peur, mais vivant. Ils chantait avec lui.
Antoine préparait des menus, Paul imaginait Jeanne et ses étincelles sur la terrasse, Emilien sur sa chaise.
Suzanne les couvait de son regard. Une cascade de vie emballa l'hôtel, ce soir là.
La soirée s'étirait. Armand amena les plaids, en rajouta un pour Léa, et posa les quatre clés sur la table, au cas où.
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Les Fleurs poussent aussi sous le béton
General FictionPaul s'était assis près de la cheminée. Il était au spectacle. Il revoyait le livre, les morts, Suzanne et ses gilets, Antoine et ses yeux à l'aguet, Jeanne qui balançait des claques de vie, le bar, le salon de thé, il mélangeait les tapas, la c...