Paul hatait le pas, il se remettait à pleuvoir, les gouttes lui coulaient sur le visage et il souriait.
Il approchait du bar, il apercevait le croissant lumineux décoré clignotant.
Antoine s'affairait à rentrer la terrasse .Il sifflotait au son du dernier tube de Balthazar.
Paul qui ne voyait jamais de signe, se mit aussi à siffloter, indifférent à la pluie.
Il s'empara d'une table, et l'empila sur une autre, Antoine souriait en lui prenant les deux tables qu'il emmena dans une réserve.
Paul le suivit, curieux , il découvrit des caisses de verres, des tables, des chaises, et des dizaines de bouteille, une collection de rhums.
Antoine s'assit sur une caisse et lui proposa une dégustation.
Paul se posa sur la caisse en face.
Il lui raconta l'histoire du rhum qu'ils allaient goûter.
Paul pensait qu'il n'avait pas de famille, il lui répondit qu'il en avait une, qu'ils les aimait, mais qu'il avait depuis toujours voulu réussir seul.
Ses parents vivaient dans le sud ouest.
Il lui demanda depuis combien de temps il avait le bar.
Antoine lui répondit deux ans, depuis qu'il avait vingt ans.
Paul fut soufflé par sa jeunesse.
Il ne doutait ni de ses choix, ni de son avenir, il respirait la volonté, il vivait.
Antoine lui expliqua que le rhum allait le détendre, lui fit le humer, doucement, avant de tremper ses lèvres.
Paul était fasciné, se laissant emporter par les arômes .
Antoine se leva, sourit et lui expliqua qu'il devait préparer des tapas pour les clients, la soirée se devait d'être festive et gourmande, pour qu'ils reviennent.
Il se mit à préparer les planches, il soignait la présentation, lui expliquant que tous les produits venait du sud ouest, sa région.
Paul tanguait sur sa caisse , le rhum lui montait à la tête, ses parents lui souriaient, il les laissait faire, sentait cette douceur se propager dans son corps , ne pensait plus , observait Antoine fasciné.
Il se leva et s'approcha, gauche, presque timide, devant ce gamin de vingt ans.
Antoine leva les yeux et l'invita à l'aider. Il fut étonné de son aisance, à couper, trancher disposer.
Paul se mit à lui raconter ses vacances dans le village de sa grand-mère, les journées dans les cuisines du restaurant familial.
C était la première fois qu'il évoquait ces souvenirs, et les gestes revenaient, les odeurs, les visages, les couleurs.
Le restaurant chalet était son domaine, niché dans un petit village de montagne, au pied des pistes de ski, jusqu'à ce qu' elle prenne sa retraite et le vende.
Il oublia où il était dès les premiers mots, et se mit à trancher le saucisson , le jambon comme s'il n'avait jamais arrêté.
Il lui parla de la crème brûlée qu'elle lui cuisinait , lui expliqua qu'il n'en avait plus jamais mangé d'identique.
Antoine enviait ses souvenirs, il n'avait que les photos de la sienne qu'il avait perdu à cinq ans.
Paul soupira, en le laissant le passé s'approcher, la douleur se transformait lentement en une douce sensation .
Il leva les yeux sur Antoine et lui murmura un merci.
Les premiers clients arrivaient , tous saluaient Antoine comme un ami, se réjouissaient de la soirée. Ils étaient en retard dans les préparations, Paul le supplia de continuer à préparer les planches, il naissait dans ce joyeux brouhaha, rythmé par le bruit de son couteau.
Le fumé du jambon, les tartines grillées, le bruit des assiettes, l'adrénaline de la préparation le faisait à nouveau respirer.
Antoine le regardait, ébahi de le voir se transformer ainsi, il le laissa préparer tous les tapas.
Les clients savouraient, Antoine souriait , Paul vivait.
Il se sentait guidé il goûtait les préparations, un verre de blanc l'accompagnait.Il leva la tête, reprit pied dans le présent, les clients semblaient tous être amis, tutoyaient Antoine, ils souriaient, chantaient.
Paul avait en deux heures oublié son travail, Jean, sa mesquinerie, son morne travail, sa triste vie.
Il aspira une grande bouffée d air, et la souffla dans un vrai sourire.
Il profitait de cette bulle, il respirait à nouveau.
Antoine lui présenta des clients, des amis. Ils étaient souvent les deux, heureux de partager ce moment qui ne semblait pas les étonner.Lui était transporté par ces heures, ce soir, il laissait les images, les saveurs passées l'approcher, sans souffrance.
Il ne vit pas le temps passer et fut étonner de voir le bar se vider.
Ils se donnaient rendez-vous pour la semaine prochaine.Ils étaient peintres, médecins, avocats, pâtissiers, aide à domicile, caissières, banquiers, et leur lien était les moments passés dans le bar d'Antoine.
Antoine les liait, les reliait, leur concoctait des moments hors du temps pendant lesquels ils goûtaient, échangeaient, et ce jeune homme en était l' artisan.
Il faisait soleil en novembre, les clients étaient partis, Antoine le regardait étonné.
Paul était transformé, ses yeux riaient, il grignotait les restes de tartines, se demandant comment les améliorer.
Il sourit, il souriait à Antoine, au jambon, à la pluie, à la farandole de visages , aux fleurs qu'il n'avait pas remarqué sur les murs.
Il ferma le bar avec Antoine.
Il marchait sous la pluie fine, il accueillait en lui le souvenir des odeurs, des saveurs.
Il était trois heures du matin, monsieur Patate l'attendait, affamé de câlins.
Paul lui rendit bien, et se mit à chercher dans des cartons au fond de sa chambre, un livre de recette, le livre de recettes, celui qu'il avait pris dans le restaurant, avant que ses parents ne le ferme tristement définitivement.
Quatre heures du matin, il s'attela à la recette de la crème brûlée, la recommença trois fois.
Le jour se levait lorsque la crème se mit à se dandiner dans la casserole, juste dorée, souple , elle lui tendait les bras.
L'eau coulait, les visages souriaient, Balthazar chantait dans la radio , il esquissa un pas de danse, le froid pénétrait l'appartement par la porte fenêtre ouverte, un froid sec qui rappelait les hauteurs du restaurant.
Il s' installa tout doucement , il guida la cuillère jusqu'à ses lèvres, ses yeux plissés , la tête en arrière, inspira et goûta.
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Les Fleurs poussent aussi sous le béton
Ficção GeralPaul s'était assis près de la cheminée. Il était au spectacle. Il revoyait le livre, les morts, Suzanne et ses gilets, Antoine et ses yeux à l'aguet, Jeanne qui balançait des claques de vie, le bar, le salon de thé, il mélangeait les tapas, la c...