Chapitre 19

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Antoine, Jeanne, et Suzanne, étaient alignés sous l'auvent du bar, les bras croisés, un large sourire barrant leur visage.
Il écarta toute question sur leur lien, leurs sourires identiques
Il se concentra sur ses pieds pour ne surtout pas glisser sur le sol humide, il ne devait se poser aucune question, pas maintenant.

Il salua Suzanne, elle tendit sa joue, surpris il y déposa ses lèvres, elle posa doucement sa main sur son épaule comme pour vérifier que c'était bien lui.

Les deux autres observaient, silencieux.

Il inspira, et leur dit on s'y met , il reste une heure. Les trois ensemble répondirent, oui chef!

Ce "oui chef!" contenait des promesses, la naissance devant eux d'un nouveau Paul qu'ils accompagnaient, bienveillants.

Il fila derrière le bar, mais Antoine lui dit de s'installer à l'arrière cuisine, il serait plus à l'aise, et le four y était.

Paul fut soulagé, Suzanne le suivit, ravie d'être son commis.

Antoine lui demanda pour combien de temps il en avait, mais Paul paniquait : il n'avait pas de ramequins .

Antoine lui suggéra dans faire trois grandes dans des plats ronds.

Il pensait les poser sur des tables, et chacun y goûterai. Ce sera convivial, il était ravi de son idée, imaginait la scène, les clients plantant leurs cuillères ensemble autour du plat. Il avait le don de transformer tout problème en idée miraculeuse.

Paul disposa les ingrédients sur une petite table bancale, sortit sa chemise de son pantalon, passa sa main dans ses cheveux, souffla, se lava les mains,
jeta un coup d'œil à Suzanne qui l' observait, et se mit aux préparations.

Il ne l avait faite qu'une fois, officiellement, au salon de thé mais les gestes revenaient, il connaissait déjà par cœur la recette.
Surtout, il ne réfléchissait pas, il vivait la préparation, imaginait les clients autour, autant de cuillères plongeant dans le plat.

Suzanne tenait parfaitement son rôle de commis, en silence. Elle couvait Paul des yeux, le regardait prendre vie en même temps que la crème.
Il était concentré, ses gestes devenaient plus sûr, elle prenait forme.

Il sentait le regard de Suzanne, le prenait comme un encouragement. Il attendit de la voir prendre forme pour lui demander:
- tu allais en cuisine au restaurant ?

Le "tu" était venu naturellement, même lui ne l'avait pas vu venir, Suzanne secoua sa tête:
- non, je la voyais plutôt ici lorsqu'elle venait à l'automne, mais elle me parlait de ses recettes, nous allions beaucoup au restaurant, avec ton père aussi.

Paul s'arrêta net, et reposa brusquement la casserole.

Il n'entendait plus le bruit de la cuisine, ni la musique du bar, ni Antoine chanter. Son père, il aurait du se méfier.

Suzanne percut immédiatement son trouble, et lui expliqua que ses parents allait en vacances tous les hivers dans le village. Suzanne était bien plus âgée que son père, et jouait avec lui, s'en occupait, ils étaient restés amis depuis leur enfance, prenaient des nouvelles et se voyaient lorsque Octavie, sa grand mère venait.

Les mains de Paul se remirent en action, elle paraissait sincère, il avait encore des questions, mais les écarta, et finit sa recette.

Antoine passa la tête par le passe plat, renifla, prit sa tête de petit garçon et mendia une cuillère pour goûter.

Ses yeux se plisserent de plaisir.
- Ils vont adorer la crème et le plat à partager, c'est tellement enfantin, mon bar va devenir une cour de récréation!

Paul et Suzanne riait, ensemble, d'une même et seule voix.

Paul demanda où il en était des tapas.
Antoine lui répondit qu'il l'attendait pour la touche "montagne" fromage fondu.

Il les avait préparés à quatre mains, avec Jeanne.
Jeanne était si mince et gracieuse, elle virevoltait derrière le bar, Antoine la couvait des yeux.
Ils étaient vraiment beaux ensemble, mais ne le savaient pas encore.

Paul plaça délicatement les plats de crème sur une table à l'écart, les recouvrit de torchons propres, vérifia deux fois que les plats étaient totalement recouverts.

Suzanne l'observait, et lui rappela que Jeanne faisait exactement pareil.
-Elle recouvrait ses plats, avec des torchons tous plus beaux les uns que les autres parce que ses plats le méritaient, disait-elle toujours en riant.

Paul fila derrière le bar rejoindre Antoine et Jeanne.

Il avait rencontré Jeanne le jour même mais avait la sensation de déjà la connaître, peut être ses yeux gris qui lui en rappelaient d'autres dont il ne souvenait pas encore.

Il prit les plats de tapas et choisit ceux qu'il pouvait parsemer de parmesan, Antoine et Jeanne l'observait.
Il était sérieux, minutieux, paraissait habité.
Ses mains virevoltaient, il jouait une douce musique avec les copeaux de fromage.

Les premiers clients arrivaient , les vitres de la devanture s'embuaient, les gouttes de pluie traversaient la lumière des guirlandes, ils tapaient leurs pieds, secouait les parapluies, posaient leur manteaux, se frottaient les mains à l'idée de se retrouver.

Antoine les accueillait, chaleureux, chef d'orchestre aux yeux brillants.

Paul regardait Jeanne l'observer, il voyait son regard, elle avait l'air apaisée.

Dans le miroir il tomba sur les yeux de Suzanne qui attendaient ses amies du salon de thé, son regard l'enveloppait, il se sentait fort dans ses yeux , à chaque fois, comme il l'était dans les yeux de sa mère, enfant.

Ce soir, il prenait le bien être, sans réfléchir, sans question, sans tergiversation, sans hésitation.
Ses yeux grands ouverts buvaient les étincelles, les sourires, les éclats de rire, les regards amoureux , les tendres, les mains qui se frôlent, les bouches qui dégustent, celles qui s'embrassent, les verres qui se remplissent, les âmes qui se croisent.

Les amies de Suzanne venaient de rentrer, accompagnées du gérant de la supérette, lorgnant déjà sur les tapas, les yeux gourmands à l'idée de les goûter.

Paul fut réveillé par un coup de coude, "ils ont faim, il faut envoyer les tapas! ".

Il se remirent au travail, à quatre mains, Jeanne et Suzanne préparaient les boissons.

"Tu as toujours autant de monde?" lui demanda Paul,
"Ce soir, particulièrement , j'ai annoncé une régalade de crème brûlée façon grand mère, mais ne panique pas, je l'ai goûtée avant". Antoine riait .
Paul étonnement, ne paniqua pas.


Les Fleurs poussent aussi sous le bétonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant