Paul se laissa entraîner dans la petite cuisine.
Il installa minutieusement ses ingrédients, les aligna dans l'ordre d'utilisation, secoua ses mains sa tête pour se persuader qu'il ne rêvait pas et commença sa recette .
Ses gestes étaient presque automatiques après avoir passé plusieurs nuits à s'entraîner.
Il entendait les bruits familiers de la mise en place de la salle, les chaises posées sur le sol, la vaisselle rangée, empilée, rythmée par le cliquetis des talons sur le sol.
Il regarda l'heure , il était quatorze heures trente, la crème était disposée dans de jolis ramequins rose poudré que Marianne avait laissé en évidence sur le plan de travail.
Il avait laissé de la crème dans un petit saladier, il disposa deux cuillères, passa sa tête dans le passe plat, et croisa le regard de Suzanne.
Il posa le saladier, et attendit.
Les cuillères s'enfoncèrent doucement dans la crème, se dirigèrent vers les deux bouches, et disparurent quelques secondes pour réapparaître lisses de toute trace de crème.
Les bouches s'étaient fermées, les yeux se plissaient, puis les cuillères reprirent rapidement le chemin du saladier.
Il avait réussi. A cet instant précis, rien d'autre ne comptait que ces deux visages ridés, qui savouraient chaque bouchée.
Il flottait dans un nouveau monde. C'est un excellent début, dit Suzanne.
Paul les yeux dans le vague se disait au contraire que c'était la fin, il avait réussi, et sa vie allait reprendre.
Finies les nuits à s'entraîner, les journées à rêver de la nuit.
Suzanne qui semblait ressentir toutes ses émotions, capta son regard triste.
Veux tu rester pour servir tes crèmes, et devenir la star du salon?
Il sourit, s'imaginant seul au milieu de toutes les clientes . Suzanne lui offrit un thé , ils s'installèrent sur le canapé fleuri.
Le salon ouvrait dans une heure. Il entoura la tasse de ses mains, soupira.
L'aventure n'est pas finie, lui dit Suzanne.
Quelle aventure, refaire une crème brûlée, revoir leurs visages , relire un livre, être en miettes, et comprendre que ma vie n'a pas changée, atterrir dans ma morne vie, lui rétorqua Paul.
Tu ne me voyais pas, lui dit Suzanne, tu ne voyais pas Antoine, tu es passé dans cette rue et tu n'avais pas reconnu le salon, et tu es parmi nous, maintenant , ta vie n'est plus la même.
Paul les yeux perdus l'écoutait, il avait réussi et se sentait vide.
Suzanne le regardait tendrement, posa sa main sur la sienne, il la laissa faire.
C'est le début, lui dit Suzanne, tu as réussi à ouvrir les yeux .
Cette crème, c'est ton socle.
Paul l'écoutait, petit garçon de quarante ans. Je vais essayer , murmura - il . Quoi, il l'ignorait.
Il voulait lui demander comment Antoine la connaissait, mais il n'osa pas , encore une fois,
Suzanne sourit, tapa dans ses mains de joie, et partit aider Marianne à ouvrir le salon.
Il se leva et rejoint Marianne. Elle lui proposa de l'aider à préparer les boissons, et de rester pour expliquer sa recette aux clientes.
Elles étaient bienveillantes , et lui désarmé , il avait oublié le goût des sentiments ,la chaleur des regards.
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Les Fleurs poussent aussi sous le béton
General FictionPaul s'était assis près de la cheminée. Il était au spectacle. Il revoyait le livre, les morts, Suzanne et ses gilets, Antoine et ses yeux à l'aguet, Jeanne qui balançait des claques de vie, le bar, le salon de thé, il mélangeait les tapas, la c...