Antoine se remit à tirer sa luge, Jeanne le suivait, suivie de Suzanne.
Puis Antoine stoppa net, et décida de l'attendre. Ils étaient assis sur les marches.
Paul suivait Léa dans le couloir. Elle avait changé et n'avait pas changé. Elle était un peu moins raide que sur les marches, malgré elle, comme si elle avait fait un peu semblant, juste avant. Elle rentrait dans un bureau, celui du maire, de la secrétaire de Mairie, le sien. Paul balaya courageusement le bureau, dérangé, pas rangé. Il se concentrait sur une pile de feuilles, des factures qui le renvoyait à son bureau à lui, où rien ne dépassait. Son bureau le renvoya à sa vie, là bas, à Jean, à sa rue. Il fixait la pile de feuilles, essayait de respirer calmement, en apnée. Il devrait lever les yeux vers elle, un jour, maintenant.
Il l'entendait s'assoir, puis se relever, tirer un peu le rideau de la fenêtre. Elle devait être de dos, il releva ses yeux. Sa tête était penchée derrière le rideau, elle regardait vers l'entrée, les marches. Ses jambes sortaient des mêmes bottes à poils que Jeanne. Elle se racla la gorge, encore, pour finalement ne rien dire. Paul qui ne savait pas quoi faire de son corps, tenait son écharpe d'une main, l'autre posée sur son genoux. Il avait l'air bancal. Sa tête penchait sous le poids des images qui tourbillonnaient, mélangées, les morts et les vivants, l'avant et le maintenant. Il penchait la tête en même temps que la sienne, mais lui ne voyait pas par la fenêtre.
Il pencha sa tête de l'autre côté, pour remettre ses idées en place, atterrir. Il ne se demandait pas ce qu'elle pensait de lui, si elle était mariée, avec des enfants, il attendait juste qu'elle l'achève, d'un mot, ou sans mot, d'un regard, d'un revers de main. Elle ne bougeait toujours pas. Paul regardait à nouveau le bureau, quand il l'entendit se retourner et faire deux pas. Lui avait fait des petits pas pour la suivre. Ses petits pas suivaient une vie de petits pas, sans gambader, sans sauter, sans chuter. On ne chute pas si on ne saute jamais, on ne trébuche pas si on ne fait que des pas pensés, mesurés. En deux pas, elle, elle était devant lui.
Antoine même s'il avait eu des petites jambes, aurait fait des grands pas, il pouvait aussi faire des pas de travers. Jeanne faisait des pas chassés, ses préférés, des pas sautés. Suzanne mélangeait tout selon les jours. Lui faisait des petits pas, sauf depuis quelques jours, il balançait régulièrement ses jambes, sautillait presque.
Léa lui renvoyait à la figure tous ses petits pas d'avant, ses pas rangés.
Elle restait debout face à lui, baissa ses yeux, les releva. Paul la fixait, comme on fixe une vieille photo, un peu floue au début. Il se leva, mit un pied devant l'autre pour aller à la fenêtre, tirer le rideau, et voir ce qu'elle avait vu. Il apercevait Antoine, Jeanne et Suzanne assis, la luge à leur pied, leurs têtes tournées dans différentes direction, qui l'attendait. Ils étaient restés là.
Il fit demi tour, jeta un coup d'œil au bureau, et se jeta "J'ai été au chalet hier". Il existe donc des gens sur terre avec qui on peut reprendre une conversation vingt ans après, sans que les mots ne se perdent, comme si on finissait une phrase. Il continua en racontant le chalet vide, puis un peu plus rempli, d'eux, la musique, la cuisine, la cheminée. Il ne lui racontait pas sa vie, pas ses parents morts, pas sa fuite, ni les vivants qui l'encourageaient à vivoter.
Léa l'écoutait, elle ne le terrassa pas d'un mot, d'un regard. Finalement, elle reprenait peut-être le fil de la conversation, elle aussi. Il s'arrêta de parler, et rajouta "Tu voulais me voir?". Léa s'était adossée à sa chaise.
Elle sursauta, il l'avait embarquée au chalet.
Elle leva doucement ses yeux, "Oui, le chalet est vide, à l'abandon. La mairie la racheté il y a quinze ans, après sa vente. Tu es revenu pour le reprendre ?".
Paul restait sans voix, non il n'avait pas eu cette idée, jamais depuis des années. Il lui expliqua qu'il ignorait que le chalet existait encore, qu'il repartait le lendemain, qu'il avait un travail, sérieux, ajoutât- il. Il ne dit pas qu'il avait une famille, il n'en avait pas, ni qu'il n'avait un chat qui l'attendait. Léa ne posa pas d'autres questions. Il n'ajoute pas non plus qu'il était venu en Marguerite, ni qu'il ne serait jamais revenu seul, sans eux qui l'attendaient . Il ne dit rien de plus. Il l'invita à venir avec eux pour un dernier déjeuner au chalet. Léa sursauta et lui dit qu'elle viendrait. Il quitta le bureau aussitôt, la laissa. Ses pas étaient plus grands, il sortit. Antoine se leva dès qu'il le vit, Jeanne sauta les marches Il leur dit juste qu'elle venait déjeuner le midi avec eux, rien de plus. Il fallait passer chez Etiennette pour le repas.
Paul marchait devant, ils le suivaient.
Le rideau de la fenêtre de la mairie bougea et retomba.
Ils déboulèrent dans l'épicerie, après avoir laissé la luge devant.
Antoine faisait son marché. Paul lui demanda les ingrédients de la crème brûlée, il ne pouvait pas ne pas la faire. Et s'il devait la rater, il la raterai, il ferait un pas de travers, tant mieux ou tant pis. Mais ils devaient la manger une fois dans le chalet.
Jeanne pétillait de joie, elle captait chaque moment, le fixait comme un tableau.
Le tapis de la caisse d'Etiennette débordait, Paul se pressait. Il fallait préparer, dresser une grande table, choisir la musique. Ce dernier repas, devait être inoubliable, comme un dernier soupir avant la fin, avant de fermer les volets, une dernière fois.
Ils traversèrent à nouveau la rue, et montèrent au chalet, une partie des courses sur la luge.
Paul ouvrait la porte, Suzanne les volets, Jeanne choisissait la musique, Antoine essayait de rentrer avec la luge. Il était onze heures. Paul filât dans la cuisine pour faire la crème en premier, et pouvoir la refaire s'il la ratait. Il allait créer du plaisir , il ne pensait déjà plus, concentré sur sa crème.
Antoine passa la tête dans la porte, ses yeux disaient "Tu vas la réussir " et il rajouta "je vais faire un tour de luge avec Jeanne".
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Les Fleurs poussent aussi sous le béton
General FictionPaul s'était assis près de la cheminée. Il était au spectacle. Il revoyait le livre, les morts, Suzanne et ses gilets, Antoine et ses yeux à l'aguet, Jeanne qui balançait des claques de vie, le bar, le salon de thé, il mélangeait les tapas, la c...