Chapitre 42

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Il tourna la clé dans la serrure, poussa la porte, et tomba nez à nez avec Laure et Mr Patate, le second sur les genoux de la première, dans la cuisine, devant une assiette.
Ils avaient le même regard étonné. Laure le caressa, et le posa sur la chaise. Elle s'excusait d'avoir déjeuné, là, dans son appartement. Elle voulait juste lui tenir compagnie.
Une inconnue dans sa cuisine, ce qui l' aurait horrifié quelques jours auparavant, lui retournait le cœur. Laure devait donc vivre seule, il fixait leurs yeux verts, l'assiette vide.
Il souriait, aussi, sa valise toujours à la main, la photo du chalet dans l'autre.
Il s'avança doucement, la remercia, d'une voix douce, lui n'était plus seul.
Il posa sa valise, et s'assit avec eux.
Laure se levait, elle voulait reprendre son rang, regagner sa loge, mais Paul lui demanda de rester, un peu.
Il lui posait des questions, elle répondait docilement. Elle était veuve, n'avait pas d'enfant, et passait son temps dans sa loge. Non, elle n'avait plus de famille, ou très éloignée. Elle ne les voyait pas.
Elle prenait soin de l'entrée, des habitants de l'immeuble, et n'envisageait pas une autre vie.
Paul, non plus, n'envisageait pas une autre vie, quelques semaines auparavant. Il eut envie d'être l' Antoine, la Jeanne ou la Suzanne de Laure.
Il la remercia, posa sa main sur son épaule, elle ne le remercia pas avec des mots pour son attention, ses questions.
Il l'invita à la soirée du jeudi qui avait lieu ce vendredi. Elle avait l'air de paniquer, mais accepta et repartit après avoir embrassé Monsieur Patate qui était resté à côté d'elle.
Paul alla poser la photo du chalet dans sa chambre, puis dans la cuisine, il ne voulait pas la quitter des yeux, de peur d'oublier, encore.
Il la fixait comme un mirage, une image voilée. Il se rappelait chaque objet touché, la poussière, le froid de la poignée de la porte, la première fois, la musique ensuite, les voix, les rires. Le chalet existait encore, et il pouvait le faire revivre.
Toutes les évidences de la veille, du matin, lui paraissaient incongrues, à nouveau, ici.
Il se secoua, et se concentra sur la soirée.
Le temps passait vite, il passait plus vite avec eux, Antoine devait l'attendre.
Il fila se doucher, et ressortit.
Il descendit l'escalier, mais stoppa devant la loge, frappa doucement, écouta les pas de Laure. Elle ouvrit la porte et ses yeux étonnés , il lui donna l'heure de la soirée pour ne pas lui laisser le choix. Laure avait compris et sourit. Elle viendrait. Elle viendrait même si elle avait soixante ans, même si elle ne sortait jamais, même si elle se sentait incapable de rentrer seule dans un bar bondé. Elle viendrait parce qu'il l'avait vu, c'était le premier qui la voyait derrière son rideau.
Il partit à reculons, en souriant , il ne lui laissait pas le choix.
Elle ferma la porte et lui retourna dans la rue.
Il voyageait dans sa vie, le passé recomposé, son présent, désintégré dont toutes les cellules volaient. Il ignorait comment elles allaient se recomposer.
Il posait un pied devant l'autre, appliqué, apercevait le bar, et la rue qui continuait, après, vers la place, l'immeuble où il passait ses journées.
La rue commençait à clignoter, comme sa vie, éteinte, allumée, éteinte, allumée. Il se mit à fermer les yeux entre deux touches de lumière pour ne pas voir le gris.
Il savait qu'il retournerait bientôt dans son quotidien, il ne savait pas encore qu'il ne serait plus le même.
Le passé éteint, le présent allumé, le passé allumé, le présent éteint, il
resserra son écharpe, il ne pouvait plus la quitter. Les guirlandes du bar venaient de se mettre à briller. Paul souriait à l'idée de les retrouver, à l'idée de son écharpe sur ses costumes, ses chemises blanches, à l'idée du regard de Jean se posant sur ces couleurs. Ses jambes ne tremblaient pas , son estomac ne se tordait pas, il n 'était plus seul, il les retrouveraient chaque soir.
Antoine sur la terrasse gesticulait sous une guirlande, Jeanne passait à côté, riant aux éclats. Ils ne subissaient rien, ils bouffaient chaque seconde, chaque minute, et les transformaient si elles ne leur plaisaient pas.
Antoine accéléra le pas pour les retrouver. Il voulait être, encore, dans leur tourbillon.
La rue reprenait des couleurs, il arriva presque en courant.
Il se retrouva perché, à nouveau, sur une chaise, suspendu aux directives d'Antoine, puis à celles de Suzanne qui venait d'arriver, et finalement à celles de Petit ventre dodu, depuis l'autre côté de la rue.
La guirlande reprenait forme. De sa chaise Paul remarqua que les mains de Jeanne et Antoine se frôlaient à chaque occasion. Il sentait aussi le fumet du chorizo, de l'ail, qui doraient doucement à l'intérieur. Il apercevait, au loin, la place, les bancs de Suzanne, et l'entrée du bâtiment de sa vie d'il y a quelques jours. Du haut de la chaise, coloré par la lumière des ampoules, il s'imaginait repasser la porte, lundi. Il comprenait, tout doucement, à pensées de velours, qu'il n'allait pas affronter la réalité, mais la transformer. Rien, sur son visage, jaune, vert, rose, selon la direction qu'il prenait, ne laissait transparaître ses émotions. On aurait pu penser que sa place était là, perché sur cette chaise, avec eux, qui tiraient des fils invisibles. Ceux qui le connaissaient l'aurait à peine reconnu. Ils auraient cherché ses yeux résignés, sa tête baissée, son doux sourire qui n'eclatait pas de rire, son dos courbé. Il l'aurait à peine reconnu, derrière ses grands yeux ouverts, brillants, son sourire qui mangeait son visage, l'écharpe multicolore qui bougeait avec lui.
Il respirait grand, il riait fort, il rêvait joyeux, du haut de sa chaise. Les premiers clients arrivaient, rien n'était vraiment prêt. Petit ventre dodu traversa la rue. Vu d'en haut, Paul ne voyait que ses pieds, et son ventre qui dodelinait à la joie de les retrouver. Ses mains balancaient deux sacs d'ail, de poivrons, de piments. Il sauta de la chaise, et fila derrière le bar pour aider Antoine. En passant, il entoura les épaules de Suzanne, sans un mot. Il n'avait pas besoin de parler, parfois les mots sont de trop.
Il pouvait pleuvoir, la rue pouvait être grise, il les peindrait par touches, chaque jour.





















Les Fleurs poussent aussi sous le bétonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant