Chapitre 30

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Ils n'entendaient pas la conversation. Paul ne parlait plus, à nouveau. Il n'avait l'air ni inquiet, ni paniqué, il était étrangement calme, serein, déterminé. Rien ni personne, ne défilait dans sa tête. Il ne pensait plus, il volait dans un doux néant.
Le bruit des cuillères, des fourchettes s'estompa au rythme des pas d'Armand qui revenait.
Un petit sourire timide pointait au coin de ses lèvres, le sourire de celui qui n'ose jamais, et qui a osé. Il se tenait maintenant devant eux, presque gauche, le téléphone dans une main. Sa seconde main cherchait sa place, il glissa finalement deux doigts dans la poche de son pantalon. Il ne se mettait jamais en avant, sa vie n'était qu'execution, discrétion. Il savait parfaitement s'effacer, il ne savait pas annoncer, et aucun mot ne sortait de sa bouche. Il se mit à se balancer d'un pied sur l'autre, son petit sourire passait de gauche à droite tremblotant, hésitant. Sa bouche s'ouvrit finalement, et il bafouilla, "J'ai eu la mairie, ils préparent la clé, vous pouvez passer la prendre." Ses mots étaient sortis au ralenti, en différé de son sourire.
Paul ne bougeait toujours pas, tous attendaient.
Paul prit sa tasse, finit son café, se leva, secoua sa tête, et leur dit "on se retrouve dans vingt minutes".
Ils prirent les quatre clés qui étaient restées sur la table depuis la veille.
Paul se retourna vers Armand qui n'avait toujours pas bougé pour lui dire qu' il venait avec eux. Il posa sa main sur son épaule, ce qui provoqua une nouvelle vague sur ses lèvres qui se transformat en un sourire presque craintif.
Paul lui dit juste "merci".
C'était merci de me donner la clé de mon passé, merci de vous joindre aux inconnus qui m'accompagnent, que je connais à peine et qui, pourtant, sont ceux qui me connaissent le mieux depuis quinze ans, merci d'exploser ma vie avec eux ce matin, merci pour votre sourire si fragile, merci de m'avoir laissé cuisiné, c est ce que je fais de mieux en ce moment, merci pour les plaids, la douceur, le Génépi, pour tout ce qui a fait que ce matin je suis à peu près prêt à ouvrir le chalet, merci pour votre audace, la première de votre vie, semble-t-il.
Puis, il fila dans sa chambre.
Il se changea, s'habilla, un jean, un pull, l'écharpe qui ne le quittait plus. Il ne se posait pas de questions. Il n'avait pas peur. Il ne mesurait pas les conséquences, les risques, comme il l'aurait fait, avant.
Ce moment était peut-être un peu trop grand pour lui, mais il ne le savait pas, ou pas encore et se laissait envelopper par lui.
Il aurait pu faire demi-tour, refuser finalement la clé, trouver des excuses, des vraies, des fausses, et fuir. Mais il se sentait à sa place.
Il fermait la porte de sa chambre, quand Suzanne, Antoine, Jeanne, sortirent aussi. Les clés tournèrent ensemble dans les serrures. Jeanne chantait, Antoine riait, Suzanne les suivait. Elle portait un nouveau gilet, plus sobre, comme si elle voulait laisser la place aux couleurs de l'écharpe de Paul. Ils ne lui demandèrent pas s'il était prêt, s'il  était sûr, s'il avait peur. Ils gambadaient dans le couloir, puis l'escalier, et l'entrainaient.
Armand était figé à côté du bar, lui n'avait pas gambadé depuis longtemps, peut-être jamais. Il ne savait pas quoi faire de ses mains, de ses jambes lorsqu'il ne servait pas de clients. Il se dandinait timidement, à l'idée d'embarquer avec eux. Il les laissa sortir, ils l'attendaient sur la terrasse.
Armand ferma la porte. Paul était déjà parti, encadré par Antoine et Jeanne. Jeanne marchait le nez au vent, aspirant le paysage, se baissant pour toucher la neige, et finalement l'envoyer sur la tête d'Antoine. Paul riait, presque mécaniquement, du moins ce n'était pas le même rire que d'habitude. Suzanne avait attendu Armand, ils trottinaient derrière pour les rattraper. Ils apercevaient la forme de Marguerite au loin. Seuls les rétroviseurs dépassaient sous la neige. Suzanne expliquait à Armand qu' ils devaient, normalement, repartir le lendemain soir. Armand lui répondit aussitôt qu'il allait contacter le garagiste. Ils virèrent tous à droite, pour rejoindre la rue principale, et atteindre la mairie.
Toute la rue était blanche, leurs pieds laissaient la marque de leur trajet .
Paul ne pensait toujours pas , ou pas trop, concentré sur la clé. La clé qu' il n'aurait jamais pensé revoir. Il était neuf heures moins deux, la mairie allait ouvrir. Il approchait du petit bâtiment, sur lequel il était écrit MA RI, la neige avait gelé sur le premier i. La porte était fermée.
Suzanne et Armand qui trotinnaient toujours derrière les rejoignirent, un peu essoufflés.
Ils étaient maintenant tous les cinq, plantés devant la porte, sur le trottoir.
Paul la fixait, on aurait pu croire qu'il priait.
Une voix retentit, ils l'entendait tous, mais ne voyait pas le corps qui allait avec.

La voix criait, ou ne criait pas, mais comme la rue était silencieuse, la voix portait dans la rue. La voix disait, joyeusement, "Je suis là ".
Finalement, ils virent une jambe apparaître, puis une autre, un buste et un visage. Le visage était encadré de longs cheveux châtains. Les cheveux encadraient deux yeux gris, avec un peu de vert, qui rappelaient ceux de Jeanne. Les jambes étaient assez longues, et sortaient d' énormes après ski poilus. Paul fixait toujours la porte. Jeanne , elle, fixait les poils des après skis. Antoine se disait qu' il fallait qu'il trouve les mêmes pour Jeanne. Suzanne et Antoine levaient leurs mains pour se signaler, mais on ne voyait de toute façon qu'eux devant la porte.
La voix qui s'approchait souriait. Jeanne demanda à Armand qui était la voix. Il lui expliqua que c'était la secrétaire de Mairie, qui était aussi la maire du village, et la directrice de la station de ski. Elle était partie pendant quelques années faire ses études, et était revenue aussitôt, il y a quinze ans, à peu près, précisa-t-il. Elle s'appelait Léa.
Paul fixait toujours la porte.
La voix gaie, Léa, était maintenant à leur niveau, elle les salua, sauf Paul qui ne s 'était pas retourné.
Il se mit sur le côté pour la laisser passer, ne leva pas les yeux.
Armand la suivait, et il ressortit aussitôt avec la clé. Paul la fixait. Armand avait les mains qui tremblaient légèrement en la lui tendant.
Paul ne dit pas un mot, et fila dans la rue, comme un automate que l' on vient de remonter. Son pas était rapide, régulier, comme si il profitait du peu de temps d'énergie qui lui restait.
Ils remerciaient Léa. Elle demanda à Armand, qui était ce visiteur. Il ne lui avait vraisemblablement rien expliqué. Il répondit juste, "c'est Monsieur Paul,le petit fils d'Octavie". Les yeux gris, un peu verts, s'écarquillèrent , la voix se fit fluette, "Paul"? . Il marchait toujours du même pas, au loin dans la rue.
Ils devaient la laisser, ils ne devaient pas le laisser seul. Ils reprirent leur chemin, dans la rue, suivant les pas de Paul dans la neige.





Les Fleurs poussent aussi sous le bétonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant