Chapitre 32

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Le feu prenait, Paul l'attisait, ils n'avaient toujours pas dit un mot. Ils le couvaient. La buche rougissait.
Antoine se leva et ferma la porte d entrée à clé. Personne ne devait rentrer.

Jeanne enleva son bonnet puis son écharpe, Antoine les prit aussitôt pour les poser sur un fauteuil recouvert de poussière.
Il anticipait ses mouvements, la suivait des yeux. Ils étaient l'évidence, dans chacun de leur gestes. 

Paul fixait les flammes, il n' avait pas encore levé les yeux sur le reste de la pièce. Son estomac se déchirait à cette idée. Il soufflait sur le feu. Le chalet sentait le renfermé. Mais le feu commençait à embaumer la pièce, il ravivait doucement l'odeur de la cire des meubles. Ils ne parlaient toujours pas. La lame dans son estomac s'agitait de plus en plus, le feu crépitait à présent. Il se releva, se jeta dans le vide, et leur dit, sans les regarder : " On pourrait ouvrir les volets" . Il l'avait dit comme " Je peux monter dans votre fusée? ".

Jeanne qui percevait tout, elle devait avoir une antenne à émotions cachée sous ses vêtements, se leva sortit une petite enceinte. Elle était la musique, les couleurs, les étincelles, l'allumette d'une explosion, la bouffée d'une vie. La musique se mettait à jouer, Eddy de Pretto, tout doux, pour commencer . Armand qui semblait faire partie du décor, se mit à bouger et se dirigea vers une fenêtre, Suzanne une autre, Paul vers la porte d'entrée.

Il retourna la clé, poussa la porte, et la laissa ouverte .

Paolo Conte était de retour dans l'enceinte. Paul se retourna, et écarquilla ses yeux.
Rien n'avait bougé, les meubles à la même place, la vaisselle, les rideaux , les fleurs sur les murs. Il était figé, comme la pièce. Il se lit à avancer doucement, à passer le bout ses doigts sur les meubles. Aucun mot sortait, il allait se désintégrer sur place. Antoine ouvrit la dernière fenêtre. La lumière rentrait, et éclairait la porte de la cuisine.
Paul s'approchait doucement, presque sur la pointe des pieds. Il y rentra, finalement. Tout était rangé, immobile. Les torchons à fleurs étaient empilés, repassés, inertes.
Ces vieux torchons avaient toujours servi, bougé, parfois volé dans la cuisine, la salle. Son estomac se serrait, encore plus, il se pliait en deux de douleur. Antoine et Jeanne s'approchaient. Il les aperçut. Son regard devenait fou, il fixait les torchons. Jeanne monta le son. Paul se releva, se rapprocha des torchons, hypnotisé . Il en prit un, le déplia , le secoua, le jeta en l'air. Les torchons se mirent à voler, tourbillonner, les fleurs valsaient, atterrissaient dans tous les coins. Il reprenait son souffle . La cuisine était recouverte de fleurs, de couleurs. Ils chantaient tous les trois, emportés, de plus en plus fort, Paul hurlait , Jeanne dansait , Antoine tourbillonnait, la lame était partie, ils ne reviendraient pas, mais il était vivant.

Pas de guirlandes, de visages dans sa tête, il était posé là, fou triste, une lueur dans les yeux, le reflet des fleurs dans le regard, une furieuse envie de ne plus sous- vivre. Armand et Suzanne s'étaient approchés. Les torchons gisaient, recouvrant la cuisine de fleurs, de vert, de rose, de jaune, Jeanne était appuyée sur le dos d'Antoine . Paul s'était assis sur le plan de travail, les cheveux en bataille, les yeux rougis, les mains et la tête en arrière. Il semblait regarder le plafond. Armand posa ses yeux sur le plafond, mais ne vit rien. Il était onze heures. Ils reprenaient leur souffle. Paul la tête toujours en l'air, dit "j'ai faim".

Il remit sa tête droite, posa ses yeux sur eux, leur fit un sourire de larmes, puis un sourire de peur, et finalement un sourire de vie.  Il était onze heures, le chalet était ouvert, le feu crépitait toujours.

Suzanne parla pour la première fois depuis longtemps. Elle proposait de faire des grillades sur le feu, d'une petite voix, comme à mots de velours. Les yeux d'Antoine se rallumaient, ceux de Paul clignotaient, Jeanne les accompagnaient. Antoine demandait déjà à Armand où trouver la meilleure viande. Suzanne devait passer au garage, retrouver Marguerite qui avait été dépannée. Tout avait été organisé par Armand.

Paul flottait à l'idée de déjeuner devant la cheminée. Il continuait de se nourrir des meubles, de la cuisine, de la vue, des portes menus, des tableaux jaunis immobiles. Ils posait ses mains sur chaque objet. Ils se préparaient à sortir, tous les quatre, à laisser Paul seul, un moment. Paul les regarda passer la porte, s'éloigner. Il apercevait les torchons, il n'avait plus envie de se recueillir dans le silence. Il avait juste envie de suivre le mouvement. Il avait faim, il voulait des sourires, des pas dans la neige, du soleil, du froid. Il chercha la clé, ferma la porte. Il courait dans la rue, il les appelait. Pour la première fois, il prononçait leurs prénoms.

Il ne vit pas la voix toujours avec ses bottes à poils, de l'autre côté de la rue.
Elle avait stoppé net ses pas. Elle n'avait pas crié. Elle l'avait suivi des yeux, puis avait repris son chemin. Antoine, Jeanne, Suzanne, se retournèrent, ébahis. Il était un autre Paul, celui d'ici, celui qu' ils avait fait apparaître, de temps en temps, petit à petit, ces dernières semaines. Il les rejoignit comme on rejoint de la famille qui vous fait sentir partout chez vous.

Ils reprirent leur marche, dans la rue, direction la boucherie. Suzanne les laissa pour aller prendre des nouvelles de Marguerite. Paul faisait le chemin de la rue pour la quatrième fois, il n'était jamais parti, ou presque pas. Antoine bifurqua vers la boucherie, avec Jeanne. Paul rejoignit l'épicerie. Étiennette l'accueilli avec des yeux plissés, ridés de la joie de la voir. Elle savait déjà qu'il était allé au restaurant. Mais elle ne lui posa aucune question. Elle lui préparait les herbes, l'huile d'olive, l'ail, et lui demanda s'il cuisinait toujours, comme une certitude. Paul eut du mal à lui dire qu'il n'avait repris la cuisine que depuis quelques jours, comme si, ici, cette réponse lui paraissait totalement anormale, incongrue. Il la remercia, et l'invita à se joindre à eux. Étiennette  préparait déjà un écriteau  de fermeture exceptionnelle, un de plus provoqué par Paul. Ses yeux disparaissaient à présent sous des plis de joie.

La neige scintillait encore lorsqu'il passa la porte. Ses talons se soulevaient dans la neige, il n 'était jamais parti. Il s'arrêta devant la boucherie.
Il resta les pieds posés dans la neige son cabas à la main, les yeux fermés au soleil. Ils lui manquait tellement et si peu. Si peu, parce qu'il se suffisait à lui même, ici, là, dans cette rue. Il les revoyait , mais pas mort, vivants, et se nourrissait enfin de ses souvenirs.

Les Fleurs poussent aussi sous le bétonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant