Ils attendaient leurs plats, Paul écoutait le monologue de Jean , il avait l'air captivé, alors qu'il ne faisait que fixer la boule bleue scintillante qui flottait juste au dessus du crâne de Jean.
La technique de Suzanne fonctionnait.
Il arrivait à l'écouter, à regarder les visages souriants de ses parents qui apparaissaient de temps en temps, sans que Jean ne se rende compte de rien.
Cela aurait été plus intéressant de dialoguer avec lui, mais il aurait fallu trouver un sujet de conversation commun, et c'était, aujourd'hui, beaucoup plus facile de le regarder passer le déjeuner, content de lui , ignorant du regard décalé de Paul,
Il ne lui avait pas demandé comment il allait, ni s'il avait pu rattraper tout le dossiers laissés à l'abandon.
Il n'avait bien sûr pas vu son malaise sans le bureau.
Paul ajouta à l'arrière plan de sa vision, les yeux bleus gris et le teint porcelaine de la serveuse.
Il fit passer les yeux sous la boule, puis sur la boule, et fixa Jean.
Son visage était moins austère, il le jugea pitoyablement drôle, il enleva le son de ses paroles, et soupira.
Il ne pouvait plus ignorer ses souvenirs, et allait devoir exister dans ses deux mondes.
Il regardait le buffet au fond de la salle, le bouquet de fleurs séchées, les assiettes fleuries, qui le renvoyaient au chalet.
Le chalet, perché à flanc de montagne, son bois, sa salle avec l'immense cheminée, les petites chambres nichées à l'étage, alcôves de douceur, les lourds rideaux qu'il tirait chaque matin, et la fameuse tapisserie fleurie.
Comment avait-il pu oublier pendant quinze ans, l'odeur de la soupe cuisant doucement chaque matin, le lait frais, la brioche du matin.
Il était parti loin, très loin.
Paul ne pouvait pas revenir, son regard restait vague, il fixait le buffet.
Jean posa brusquement son verre, il sursauta, posa son regard sur Jean qui paraissait agacé, il ne l'avait pas écouté comme d'habitude, mais cette fois ci, il s'en était rendu compte.
Son regard pesait sur lui, il sentit pris en faute, ses mains devenaient moites.
Il toussota, et relança aussitôt la conversation en évoquant un dossier relatif à un contrôle fiscal dans le cadre d'un divorce.
C'était comme lui offrir le meilleur des desserts, aucun chef étoilé ne pouvait rivaliser. Le visage de Jean se détendit, le malheur des autres le nourrissait, il l'absorbait, s'en délectait.
Il ne lui demanda bien sur pas la raison de ce flottement, de peur d'avoir à écouter une réponse.
Il avait retrouvé son jouet, et Paul replaça la boule de Noël au-dessus de son visage pour se sentir plus calme.
Il décida de commander un dessert, pour accompagner Jean.
La serveuse lui amène une sublime tarte aux pommes maison.
Paul écoutait Jean en savourant, il se promenait dans le chalet toit en l'écoutant, pour éviter d'être transpercé par son ironie et son indifférence.
Jean se leva, Paul le suivit pour régler.
La serveuse aux yeux gris lui sourit, il fixait sa frange coupée au milieu du front, comme une provocation, un sourire au dessus des yeux.Il l'avait déjà vue , mais ne se souvenait pas où. son visage était d'un autre temps, d'une autre époque, fin et délicat.
L'aurait-il remarqué avant?
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Les Fleurs poussent aussi sous le béton
Ficção GeralPaul s'était assis près de la cheminée. Il était au spectacle. Il revoyait le livre, les morts, Suzanne et ses gilets, Antoine et ses yeux à l'aguet, Jeanne qui balançait des claques de vie, le bar, le salon de thé, il mélangeait les tapas, la c...