Le réveil sonnait, Paul ouvrit des yeux étonnés sur ce lundi. Il allait reprendre le chemin de son bureau. Avant il y aurait pensé trois jours avant, ce qui aurait raccourci d'autant ses vacances. Il avait cuisiné toute la nuit, et se leva pour déposer au bar tout ce qu'il avait préparé. Il n'avait pas le visage de Jean en tête, se demandait comment il allait s'habiller. Il finit en costume avec un pull et une écharpe dessous. Le pull était vert, l'écharpe toujours jaune, il oublia de se coiffer, et s'affaira à tout rentrer dans un grand sac. Il oublia son téléphone, son cartable et débarqua au bar. Antoine avait déjà ouvert, il était assis sur un tabouret en train d'écrire. Paul lui posa tout sur le comptoir, et lui dit qu'il fallait qu'il goûte, et que s'il aimait il pouvait le mettre à la carte du midi. Puis, il lui demanda si Suzanne lui avait parlé de lui avant le jour où il s'était assis avec eux, avant le salon de thé. Antoine ouvrit grand ses yeux noirs, ses sourcils suivirent le mouvement comme à chaque fois, et il lui expliqua que Suzanne était venue au bar quelques mois auparavant, qu'ils avaient souvent discuté, mais pas de lui, avant. Il arrêta de parler, ses sourcils non. Paul ne posa pas plus de questions, s'installa pour boire un café et Antoine lui montra ses dernières idées. Il était huit heures trente, l'heure de partir au bureau. Paul sauta de son bureau paniqué.
- J'ai oublié ma fiole de neige !
Les sourcils d'Antoine reprirent leur danse et il repartit en courant à son appartement, monta les marches quatre à quatre, prit une fiole qui semblait vide, et dévala l'escalier. Il passa devant le bar d'Antoine en criant qu'il repasserait le midi, et détala. Il arriva essoufflé devant la porte de l'immeuble, tourna la tête vers les bancs, pas de Suzanne. Il se retourna vers la porte d'entrée, sentit sa main droite tenant la fiole et réalisa qu'il n'avait pas son cartable. Il découvrit son reflet dans la vitre, décoiffé, son écharpe, son pull vert, avec au fond l'accueil austère. Il n'était parti qu'une semaine. Il se redressa un peu, et fila vers l'accueil, salua la réceptionniste qui faisait un O avec ses lèvres depuis qu'elle l'avait aperçu. Il posa ses pieds sur la moquette, sa tête se mettait un peu à tourner, il apercevait Constance de dos, le bureau de Jean au fond, et la porte du sien à droite. Il tourna, et aperçut Mélanie à son bureau. Le sien avait été remis à sa place, rangé. Il la salua, elle répondit à peine. Il s'assit, posa un pot transparent, vide sur le bureau. Son estomac se nouait, il entendait le pas de Jean. Il allait le bombarder de questions. La tête de Jean apparut, tourna légèrement en direction de la salle de pause, et il repartit en souriant. Paul se leva pour le rejoindre. Jean attendait. Paul arriva devant lui, il n'avait pas enlevé son écharpe. Jean le dévisagea, souleva ses talons pour montrer son autorité, fit les cafés et ne lui posa aucune question. Il ne lui en poserait jamais, cela faisait quinze ans qu'il était un inconnu. Paul ne parlait pas. Jean lui faisait un récapitulatif des dossiers en cours. Paul s'affaissât légèrement. Il repartit derrière lui, comme si Jean avait remonté un clé dans son dos. Assis à son bureau, il mit sa tête entre ses mains, et fixait la fiole vide.
- C'est quoi cette fiole
- Une fiole de neige
- Mais ça fond la neige, iln'y a plus rien.
- Oui.
Mélanie se racla la gorge, fit une moue, et fila dans le bureau de Jean. Paul ne bougeait pas, il était un peu sonné. Il leur avait voué toutes ses semaines, ses heures, ses années, et se sentait ratatiné par leur indifférence. Il se leva pour tourner son bureau vers la fenêtre. Ils devaient décider de son sort. Il restait à la fenêtre, Suzanne n'était pas sur les bancs. Il allait perdre son travail, et rien n'était encore sur pour le restaurant. Il sentait seul au monde tout à coup, d'autres aurait dit orphelin. Même à quarante ans, on est orphelin. Mélanie revenait à son bureau l'air satisfait. Le portable de Paul sonna, un message. « Nous votons la reprise du restaurant ce soir. » . Paul saisit la fiole vide, il la fixait. Mélanie leva les yeux au ciel. Paul figé, tournoyait. Il ne quittait pas la fiole du regard, revoyait Marguerite, le voyage, Armand, les nuits dans les fauteuils, Léa, eux qui le suivaient, le chalet, les repas, les torchons qui volaient, la musique, leurs sourires, ses larmes, c'était lui seul qui avait vu le livre. Ce soir il irait voir Suzanne, il voulait savoir si elle avait forcé le hasard. Il la revoyait sur son banc, ses rubans, sa douceur, ses larmes retenues au salon de thé, il savait déjà qu'il ne lui en voudrait pas. Il était toujours debout. Sans un regard pour le « tailleur talons » du bureau d'en face, il prit le téléphone et tapa « Bonjour, merci tiens moi au courant ». Il imaginait Léa à son bureau de Maire, sentait son parfum, il regardait par sa fenêtre, voyait la rue blanche. Mélanie tapa ses talons, hauts bien sûr, pour le ramener dans le bureau. Paul la regarda, il n'y avait plus aucune appréhension, plus la moindre infime trace de peur, de panique, sur son visage, il la regardait comme s'il la découvrait cachée derrière son aplomb, son mépris, sa suffisance. Elle était finalement transparente. Elle le découvrait plus grand, insolent sans un mot de prononcé, il avait l'air de la chercher alors qu'elle était là, à sa place. Il ne voyait plus son visage, elle était, elle aussi, un simple costume, une apparence, un masque blanc à la place du visage. Il se rassit, prit un dossier, il tournait les pages sans les regarder. Mélanie n'avait pas bougé, elle le fixait toujours, presque effrayée. Paul se leva, et marcha vers le bureau de Constance. Il n'avait vu que son dos. Le maquillage était encore frais, le regard tombait malgré tout, déjà, à dix heures du matin. Elle lui lança un pauvre sourire. Elle attendait toujours Jean. Paul repartit à son bureau sans un regard vers Jean. Le jouet se déglinguait. Mélanie le vit revenir, s'assoir à nouveau, croiser ses jambes, les décroiser, la regarder sans la voir, tourner les pages à nouveau sans lire un seul mot, s'étirer, sourire à la petite bouteille vide. Elle se leva et repartit dans le bureau de Jean. Midi arrivait, Paul entendit les pas dans le couloir, Jean avait collé une grimace sur son visage, pour l'appâter, tourna la tête vers la droite, souleva ses talons. Mélanie se leva aussitôt, elle avait du le remplacer pour les formules du midi. Paul se leva, passa entre eux deux, et lança :
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Les Fleurs poussent aussi sous le béton
Ficción GeneralPaul s'était assis près de la cheminée. Il était au spectacle. Il revoyait le livre, les morts, Suzanne et ses gilets, Antoine et ses yeux à l'aguet, Jeanne qui balançait des claques de vie, le bar, le salon de thé, il mélangeait les tapas, la c...